RFF-SNCF, ÇA N'A JAMAIS MARCHÉLa séparation entre l'opérateur SNCF et le gestionnaire du réseau date de février 1997. À l'époque, il s'agit surtout pour la France, qui tente alors de se plier aux critères de Maastricht, de masquer dans une structure de "défaisance" la dette déjà colossale du système ferroviaire. Outre les voies ferrées, RFF endosse alors 20 milliards d'euros de passif financier. En dix-sept ans, la dette de l'ensemble du système a plus que doublé, à cause du coût d'entretien d'un immense réseau en très mauvais état (ce qui explique de nombreux retards ou fermetures temporaires de liaisons), ou encore de la construction de nouvelles lignes (quatre nouveaux tronçons à grande vitesse seront inaugurés d'ici 2017 : Paris-Strasbourg, Paris-Bordeaux, Paris-Rennes et Paris-Montpellier ; quant au futur Lyon-Turin, il n'est toujours pas financé, etc.).La réforme est une tentative de contenir cette dette qui flambe. Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF, assure que la réorganisation fera gagner 1,5 milliard d'euros par anen supprimant doublons et chevauchements inefficaces. De quoi stabiliser la dette, mais pas la réduire. Plus prosaïquement, c'est une façon de régler des bisbilles récurrentes entre les deux structures, comme l'a prouvé l'incroyable quiproquo des quais de gare à raboter pour les futurs trains express régionaux (TER).La loi propose donc de « réunifier » SNCF (rebaptisée SNCF Mobilités) et RFF (devenu SNCF Réseau) au sein d'une même holding, sur le modèle de la Deutsche Bahn allemande – au grand dam de la commission européenne, guère friande de telles structures accusées d'être un frein à la concurrence. Rien n'assure toutefois que malgré la fusion, trois entreprises seront plus efficaces que deux. « À part multiplier les postes d’encadrement et les heures de réunions entre tout ce petit monde, quelle utilité ? » s'interroge le cheminot Sylvain Boulard dans un post où il explique ses raisons de faire grève. Pour les députés Front de gauche, c'est le risque d'un« éclatement du système ». « Le projet de loi est fait pour pousser encore plus loin le cloisonnement et l'étanchéité entre activités (…) pour préparer la structuration en sociétés privées », craint la CGT. Pour Sud-Rail, le « service public ferroviaire doit être assuré par UNE entreprise publique intégrée, gérante de toute l’exploitation et toute l’infrastructure... ». « Nous savons – nous ne le cachons nullement – que l’ouverture du marché à la concurrence, engagée depuis 2000, sera réalisée à terme, rétorque le rapporteur de la loi Gilles Savary. Nous préparons la SNCF à cet environnement ouvert, dans lequel elle devra se battre en France et, surtout, à l’étranger (…) Loin de démanteler la SNCF, nous conservons toutes ses compétences. »
LES CRAINTES DES SYNDICATS : PLUS DE CONCURRENCE, PLUS DE COMPÉTITIVITÉ« La SNCF va être complètement éclatée et incapable de répondre aux besoins de transport, (…) il y aura des milliers de camions supplémentaires sur les routes, de plus en plus de gares et de lignes fermées », prévient Thierry Nier, secrétaire fédéral de la CGT cheminots. La loi ne prévoit pourtant pas de fermeture de gares ou de réductions de dessertes. Elle ne dit d'ailleurs rien non plus de la façon de redresser l'activité Fret de la SNCF, moribonde. Mais si une partie des cheminots sont si inquiets, c'est parce que leur environnement quotidien change très vite : le service public se veut désormais ultra-rentable et concurrentiel. « Depuis 1983, la SNCF a perdu 100 000 cheminots, soit un tiers de l’effectif, alors qu’elle transporte 400 millions de voyageurs supplémentaires par an », résume Gilles Savary. La SNCF est devenue un groupe mondial, en compétition dans de nombreux pays du globe pour l'exploitation de dessertes régionales, de réseaux urbains, ou dans le cadre de marchés d'ingénierie.
LE CONTEXTE INTERNECes éléments mis à part, le contexte social et syndical de la SNCF explique aussi la durée du mouvement – le plus long depuis la réforme des retraites de 2010.Dans cette grande entreprise publique où la culture de mobilisation reste ancrée, la grève reste une façon de ressouder les rangs en période d'incertitudes. « La corporation cheminote menacée de délitement par la nature des restructurations permanentes éprouve très régulièrement le besoin de ressouder ses rangs autour de grandes revendications mobilisatrices », explique le chercheur Marnix Dressen. Au risque de provoquer l'incompréhension d'une partie du pays, gênée dans ses déplacements.Alors que la sécurité à la SNCF est un véritable dogme, les défauts de signalisation et autres problèmes techniques sur le réseau sont par ailleurs perçus par certains cheminots comme le signe d'une crise des valeurs internes. À ce titre, l'accident mortel de Brétigny-sur-Orge (juillet 2013) a pu servir de révélateur. Comme un récent rapport indépendant l'a montré, la SNCF paraît avoir de lourdes responsabilités : de très nombreux boulons servant à retenir le rail étaient défectueux ou manquants. La CGT a vu dans cet accident mortel (un événement rarissime à la SNCF) le signe d'une« déstructuration » de l'entreprise.Côté syndical, l'éclatement n'aide guère à apaiser le paysage social. L'hégémonie historique de la CGT est un peu plus remise en cause à chaque élection professionnelle (par Sud, mais aussi par l'Unsa en pleine ascension). Ce qui explique ses atermoiements. La réforme a été en grande parte discutée, voire négociée avec la CGT. Depuis, son leader, Gilbert Garrel, a paru indécis. La base l'a forcé à radicaliser ses positions. Du coup, la confédération CGT, gênée, le soutient du bout des lèvres.Enfin, le rapport de force créé par le gouvernement (« Il faut savoir terminer un mouvement », a lancé François Hollande, paraphrasant le communiste Maurice Thorez en 1936) entraîne en retour un sursaut de mobilisation dans les assemblées générales. En décembre 1995, les cheminots étaient à la tête du mouvement de contestation du plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale. Les temps ont changé mais ils savent que leur capacité de nuisance et de mobilisation inquiète n'importe quel pouvoir.