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De BNP Paribas à la BCE, l’Europe est toujours plombée par ses banques
Publié le 19 juin 2014 par Blanchemanche
JUIN 2014 | PAR PHILIPPE RIÈSLa vraie question posée par la chronique de l'actualité monétaire et bancaire en Europe est celle des institutions politiques qui placent les intérêts des banquiers au centre des « marchandages ». L’Europe va donc continuer à payer un lourd tribut, économique et social, à un jeu où les banquiers se distribuent les meilleures cartes.Tandis que l’ennemi autoproclamé de la « finance » (c’est loin, le Bourget…) s’agite en défense de la banque BNP Paribas, qui s’est pris les pieds dans le tapis effiloché de la justice américaine (notre article ici), les dirigeants de la BCE s’enfoncent un peu plus, en frappant le sol de leur canne blanche, sur le chemin obscur des mesures dites« non-conventionnelles », dont personne ne sait où il conduit. En résumé, les banquiers ne font pas le travail pour lequel l’État leur accorde des franchises privilégiées, à savoir financer l’activité économique. Mais ils ont néanmoins droit à la sollicitude des pouvoirs publics quand leurs jeux spéculatifs tournent mal. Le changement, ce n’est vraiment pas maintenant.Fragile par dessin: les banques © PUPDans un livre remarquable,Fragile by Design (Fragile par dessin ou… dessein), dont une recension plus complète viendra plus tard, les universitaires américains Charles Calomiris et Stephen Haber écrivent notamment que « la banque moderne est le mieux comprise comme un partenariat entre le gouvernement et un groupe de banquiers, un partenariat mis en forme par les institutions qui gouvernent la distribution du pouvoir dans le système politique ».« Les politiques gouvernementales à l’égard des banques, poursuivent-ils, reflètent les accords qui donnent naissance à ces partenariats, ainsi que le pouvoir des groupes d’intérêt dont le consentement est crucial pour la capacité du groupe politique qui contrôle le gouvernement à soutenir ces accords. » Sous cet angle, tout le développement de la crise financière mondiale depuis son éclatement en 2007 est une formidable illustration de ce que les auteurs appellent le « jeu des marchandages bancaires », un « processus politique » dont « les enjeux sont le pouvoir et la richesse ».En prenant le contrôle en 2000 de Paribas, au terme d’une violente guerre de mouvement contre la Société générale qui avait déjà négocié un rapprochement amiable avec la vénérable banque d’affaires, les hauts fonctionnaires de la banque « à la française » ne mettaient pas seulement la main sur l’Orangerie de la rue d’Antin, où il s’installeront en conquérants, mais sur un « animal » assez particulier, à l’ADN bien différent du leur. Une culture bancaire internationale plus proche de la flibuste que de la gestion domestique de la rente. Que les sérieux ennuis de BNP Paribas aux États-Unis viennent des agissements « borderline » de l’ancienne Paribas Suisse n’est pas « innocent ». Dans le « bagage » apporté par Paribas au nouvel ensemble, il y avait aussi une leçon qui s’est répétée à de multiples reprises depuis les origines de la globalisation financière : pour les banquiers européens, l’Amérique est rarement, pour ne pas dire jamais, la terre promise. En 1984, Paribas, nationalisée comme toute la finance française en 1981, mettait fin à l’hémorragie financière provoquée par l’aventure américaine commencée dix ans plus tôt avec l’entrée au capital de la banque d’affaires de Chicago, A.G. Becker, devenue ensuite Becker Paribas, filiale à 100 %.Comment Michel Pébereau et ses successeurs, Baudouin Prot puis Jean-Laurent Bonnafé, ont-ils cru pouvoir conduire une « grande stratégie américaine », centrée sur BancWest en Californie, tout en voulant jouer au plus fin avec la législation américaine sur les embargos visant l’Iran, le Soudan et Cuba ? Perte de contrôle de l’héritage génétique de Paribas, qui vient de se rappeler à leur bon souvenir ? Ou plutôt incompréhension du fait que dans « la distribution du pouvoir dans le système politique » aux États-Unis, le « jeu des marchandages bancaires » n’obéit pas tout à fait aux même règles qu’en France où les banquiers peuvent toujours compter sur la bienveillance d’un « régulateur captif », avant tout sensible aux intérêts de ceux qu’il « régule ». Tout l’enjeu de la future Union bancaire européenne, ce qui explique une gestation dans la douleur, étant de savoir si le transfert de la supervision au niveau européen changera véritablement cette donne pour les grandes banques dites« systémiques » comme BNP Paribas. À voir.Pour les banques américaines, la facture pénale de la « crise des subprimes » et de ses ramifications dépasse les 70 milliards de dollars, et devrait encore gonfler de quelque 12 milliards avec le dernier épisode BofA, les actionnaires ayant jusqu’ici accepté de payer pour que les « rois de Wall Street » évitent la prison. Ce n’est pas un hasard si le patron de Goldman Sachs, Lloyds Blankfein, s’est inquiété avant tout de l’effet d’un « plaider coupable » par Crédit Suisse (c’est fait) et BNP Paribas (c’est probable), un passage officiel aux aveux que les banques américaines ont réussi à éviter jusqu’à présent.Culture, histoire, religion : dans les arrangements institutionnels américains, le mensonge est pire que le crime. Les informations distillées jour après jour par la presse américaine laissent entendre que BNP Paribas paiera très, très cher d’avoir menti pour dissimuler la fraude. Et que des têtes tomberont.