Après Maintenon, changement d’époque et de décor. Partons au XVe siècle en Allemagne pour écouter une musique militaire peu connue, ou plus exactement mal connue : les chants des lansquenets.
Les lansquenets ? Pour certains, ce nom évoque une chanson en français qui parle de hauts tambours, pour d’autres, des bonshommes en tenue moulante et chamarrée portant des drapeaux, pour d’autres enfin, des soudards battus à Marignan.
Ce n’est pas faux, c’est juste un peu incomplet. Commençons donc par un petit rappel historique. Depuis la nuit des temps, les mercenaires ont existé (relisez Salammbô, c’est trois siècles avant Jésus-Christ), ces soldats de métier offrant leurs services… au plus offrant. L’avantage ? Ce sont des soldats professionnels, dont la mort est moins marquante que celle d’un conscrit et dont on peut se débarrasser facilement (en les payant ou en les « neutralisant »). L’inconvénient est qu’ils coûtent chers, qu’ils sont volontiers pillards et déserteurs.
Toujours est-il que les lansquenets sont des mercenaires allemands (le terme est inexact, en gros ils viennent des pays germaniques), qui se sont mis au service de tous les souverains d’Europe, y compris au service du Roi de France, au cours des XVe et XVIe siècles, à l’image des gardes suisses. Organisés en unités de fantassins (piquiers, arquebusiers, hallebardiers), ils furent engagés pour la première fois par Maximilien Ier (celui de la peinture de Dürer), à la fin des années 1480.
Il faut avouer, souvent, les lansquenets étaient des soudards sans foi, ni loi, avides de pillages et de rapines. Mais leur efficacité au combat était reconnue. Ils ont diffusé, avec les Suisses, l’usage de la longue pique, capable de briser une charge de cavalerie et, dit-on l’usage du tambour au combat. Les plus riches d’entre eux tenaient à montrer leur liberté absolue et leur arrogance en s’habillant de manière assez extravagante : des collants aux couleurs différentes, des crevés, de larges chapeaux à grandes plumes… qui ont même influencé la mode civile. Toute une mythologie est rapidement née autour du lansquenet, personnage haut en couleur, héros brave et courageux, aimant la guerre, le vin et les femmes…
Ces soldats chantaient. Et comme dans toutes les armées du monde, le répertoire devait être formé de chants de marche, de chants de taverne, de chants tristes, d’autres joyeux. On pense qu’ils étaient accompagnés de percussions, les fameux tambours, de fifres, voire d’autres instruments. Comme toute mélodie populaire de cette époque les textes et les mélodies sont forcément fluctuants et les sources scripturaires rares. Néanmoins, certains airs sont parvenus jusqu’à nous.
Le corpus a été largement complété, le mythe du lansquenet aidant à diffuser les nouveautés : de nombreux chants militaires écrits plusieurs siècles plus tard ont pour sujet les lansquenets, ou bien sont faussement attribués à cette époque. Vous allez vous en rendre compte avec les extraits présentés.
Les airs peuvent être martiaux, guerriers, aidant à la marche ou donnant du cœur avant la bataille. D’autres sont plus tristes, les mêmes thèmes revenant irrémédiablement : la nostalgie du pays natal, l’éloignement de la famille, la misère et les vicissitudes du soldat, loin de la caricature de la soldatesque haineuse et sans cœur. La simplicité des mélodies, belles et rythmées, alliée à l’image du lansquenet, « chevalier du peuple » de l’après Moyen-Age, ont permis une large diffusion à travers les siècles et l’Europe. Les chants des lansquenets ont été à l’origine de nombreux chants de l’armée allemande… mais aussi française, un véritable patrimoine européen qu’il est bon d’écouter et faire connaître.
Quelques exemples
Wir zogen in Das Feld – Nous étions partis sur le champ (de bataille) – Ce chant fut composé en 1540 en Italie du Nord. C’est un authentique chant de lansquenets, chanté jusque récemment, repris par le Père Doncoeur après sa captivité et adapté en français sous le nom de Kyrie des Gueux.
Une autre version, sans doute plus proche de l’original :
Wir sind des Geyers Schwarzer Haufen – Nous sommes la bande noire de Geyer, Florian Geyer (1490-1525) étant l’un des chefs de la Guerre des Paysans. Cette mélodie a été écrite en…1919
Unser Liebe Fraue – Notre gente Dame – Un autre authentique chant de lansquenets. Les paroles comme la musique sont du XVIe siècle. On y parle de la guerre en Flandre et du siège de Berg-op-Zoom en 1588.
Georg von Frundsberg, Fuhrt Uns An – Georg von Frundsberg fut l’un des plus célèbres capitaines de lansquenets