L’affaire Froome en est l’illustration parfaite qui nous ramène à l’époque Armstrong-Verbruggen… Comment ne pas faire la comparaison, voire le rapprochement avec tous les passe-droits dont a bénéficié l’extra-terrestre américain à la fin des années 90. Avec l’arrivée du nouveau président Cookson et ses grandes résolutions, on pensait être sorti du cauchemar et délivré de cette gangrène qui a pourri deux décennies de cyclisme. Mais on est reparti en marche arrière par la faute et l’irresponsabilité de l’organe faîtier, lequel se justifie à travers un communiqué alambiqué qui embrouille encore un peu plus les esprits.
Car comment Froome, qui était à plat avant le Tour de Romandie au point de déclarer forfait à Liège-Bastogne-Liège, a-t-il fait pour ratatiner une opposition de qualité avec le talentueux Kwiatkowski, Spilak, Rui Costa, Nibali et Talansky, celui-là même qui vient de s’offrir le Critérium du Dauphiné au détriment du revenant Contador ! Et après avoir dominé Toni Martin en personne le dernier jour contre la montre…
Faudra qu’on nous explique comment le haricot britannique a retrouvé des forces pour revenir à son meilleur niveau en quelques jours ? A ce stade de compétition, cela ne se fait pas sur un claquement de doigts et il a bien fallu l’intervention de l’UCI et de ses responsables pour permettre cet « exploit » inattendu qui, en trois points au moins, ne correspond pas au règlement antidopage :
1) les corticoïdes par voie orale sont interdits en compétition.
2) si un tel traitement était nécessaire à Froome, c’est qu’il n’était pas en état de prendre part à une compétition de ce nivea
3) une autorisation à usage thérapeutique doit être délivrée par un groupe d’experts et non par un seul médecin.
On sait que Froome souffre d’asthme et qu’il utilise en course un spray aux corticoïdes par inhalation. Ce n’est un secret pour personne et on l’a encore vu sur le dernier Dauphiné. Durant le Tour de Romandie, selon le Journal du Dimanche qui a révélé l’affaire, « il aurait reçu de l’UCI une AUT (autorisation à usage thérapeutique) demandée par le médecin de l’équipe Sky lui permettant d’ingérer oralement (donc avaler) de la prednisolone (un corticoïde) durant les sept jours de course suivant une posologie importante : 40 milligrammes par jour ».
Or Froome, qui a été handicapé par des problèmes de dos et de bronches ces dernières semaines, avait absolument besoin de courir pour se remettre en jambes et rattraper le temps perdu dans l’optique du Tour de France. Il fallait qu’il disputât le Tour de Romandie. D’où les spéculations et les interrogations à propos d’une certaine complaisance de l’UCI et de l’intervention du dr. Zorzoli. Celui-ci a-t-il fait du zèle face à la montée en puissance du cyclisme anglais, de l’équipe Sky et de la « british connexion » ou est-ce une certaine interprétation du règlement qui lui a permis d’intervenir seul ? A ce propos, on aurait bien aimé entendre les directeurs sportifs et les managers des autres équipes du World Tour. Mais leur réaction se fait attendre. A croire qu’ils ont des raisons de ne pas se mouiller dans cette affaire…
Dans son remarquable ouvrage « Dans les secrets du Tour de France », paru chez Grasset en 2012, Cyrille Guimard (qui en connaît un rayon sur la question) évoque, non sans ironie, le problème posé par l’usage des corticoïdes. « Il est difficile aujourd’hui d’évoquer ce type de « dopage » dans la mesure où, depuis quelques années, les corticoïdes sont désormais autorisés sous presciption médicale… Je résume : certains produits que nous prenions sont devenus des produits dopants alors qu’ils ne l’étaient pas. Mais les corticoïdes étaient considérés comme des produits dopants et ils ne le sont plus… Vous arrivez à suivre ? Tout cela pour dire que nous sommes toujours confrontés dans la vie à des interprétations « politiques », nous sommes manipulés par des courants d’opinion, avant d’être, par la suite, face à d’éventuelles remises en question sur le plan scientifique… »
Décidément, le sport cycliste n’arrive pas à se débarrasser de ses casseroles et de ses démons. L’arbitraire, les insinuations, la complaisance, on n’en sort pas ! En déclarant finalement que l’UCI avait agi dans les règles, l’Agence mondiale antidopage (AMA) a stoppé son enquête et mis fin à la polémique. Par son intervention, elle a éteint l’incendie qui menaçait de tout ravager à trois semaines du départ du Tour de France, lequel aurait pu s’élancer de Leeds, en Angleterre, sans son dernier vainqueur anglais, Gentleman Froome ! Imaginez les conséquences et les commentaires…
En attendant, Chris Froome, après avoir malmené Contador et l’opposition sur les pentes du col du Beal, a perdu le Dauphiné. Mais il est tombé et a quelques circonstances atténuantes. Malgré la menace de Contador, il va peut-être gagner son deuxième Tour de France. Et alors resurgira la polémique avec ses questions insidieuses, ses insinuations, ses explications foireuses, ses accusations. Car on a beau nous servir toutes les explications imaginables pour disculper le dr. Zorzoli et l’UCI : le discrédit est de nouveau jeté sur les dirigeants de la fédération mondiale censés veiller sur le sport cycliste et éviter toute nouvelle dérive dans le domaine du dopage. Sur ce plan-là, c’est raté !
Bertrand Duboux