Léa Frédéval (Les Affamés) dans l’Interview très Stratégique

Publié le 18 juin 2014 par Darkplanneur @darkplanneur

C’est une figure de prou de la Génération Y (même s’il n’aime pas l’expression), Léa Frédéval auteur du bestseller « Les Affamés » passe sur le grille de l’interview très stratégique, pour un cogito très luxe & mode.

Darkplanneur : « Léa, ce livre « Les Affamés » c’est un peu le manifeste de la génération Y. Tu y dépeins une jeunesse qui ne se fait plus aucune illusion sur la vie, un peu désenchantée. Est ce que tu acceptes cette étiquette de porte-parole de ta génération ? »

 Léa Frédéval : « C’est vrai que certains médias peuvent le dire, mais moi ce n’est pas mon but. Je n’ai pas écrit ce livre pour ça. Pourtant c’est vrai que ce que je décris est une réalité. D’abord les petits boulots pour financer les études, puis les stages à n’en plus finir et à terme le chômage. Moi je contourne le système par ce que je n’ai pas le choix, parce qu’aujourd’hui la précarité chez les jeunes c’est une réalité. J’ai appris il y a peu quel était le seuil de pauvreté en France. Je me suis aperçue que ça faisait 2 ans que je vivais en dessous du seuil de pauvreté. Ce qui est important vraiment dans ce livre, c’est de comprendre que ma génération est très spécifique. Beaucoup pensent qu’on est une jeunesse comme les autres. Moi je pense qu’on est la première génération à ne pas pouvoir nourrir l’illusion d’un avenir meilleur. On n’est pas juste naïfs et insouciants, ça, c’est fini. »

 D: « Justement, il y a une vraie rébellion dans ton livre. Tu accuses les bourgeois, les bobos »

 LF : « Oui parce que moi je ne viens pas de ce milieu là. Mais j’ai toujours respecté les gens, moi je ne fais pas de différenciation entre les gens. Je n’aime pas être méprisé pour rien. Je n’aime pas qu’on me regarde de haut parce que je n’ai pas les bonnes chaussures.

 D: «  Tu ne penses pas que ce regard critique ce n’est pas forcément un regard critique de classe, mais juste un regard critique de goût ? »

 LF : « Non…. »

D: «  Tu penses que tu n’as pas l’uniforme qu’il faut ? »

 LF :  »L’uniforme je l’ai, ce n’est pas ça le problème. C’est le reste que je n’ai pas. Visuellement je pourrais être comme eux. C’est la manière de m’exprimer ou la philosophie par exemple, la manière de penser que je n’ai pas comme eux. Moi je viens du 18e . Moi je pense pas qu’on réussisse forcément sa vie en payant une école 9000€ l’année. Je me rend compte aussi que plus on est riche, plus on est con, et plus on est riche, plus on a de pouvoir. »

D: «  En même temps, les riches à Paris, certains sont bobos et ont voté Hidalgo, et se veulent apôtres d’une sorte de multiculturalisme festif. »

 LF : «  Pour moi il y a vraiment une histoire de pouvoir, que ça soit par l’argent, par la situation sociale etc… Il y a un truc de hiérarchie. Il y a quelque chose qui me dérange avec le pouvoir, c’est vrai. Il y a des gens, qui n’ont jamais rien fait de leur vie, mais parce qu’ils ont un titre, une particule, se permettent de te rabaisser. Pour moi ça ne doit pas être une question de statut, on est tous pareil, les noirs, les blancs, les arabes, les homosexuels. On est tous des êtres humains et on doit tous se respecter de la même manière. »

D: « Et en même temps tu es une obsédée des fringues. »

 LF: « Oui parce que j’aime ça. J’aime être bien habillé. Je ne suis pas une modeuse mais j’aime les vêtements. J’aime passer du temps à m’habiller, j’aime chiner. »

 D: « Tu apprécies énormément les vêtements. Est ce que tu entretiens un véritable rapport aux marques, ou est ce que tu ne t’intéresses qu’au vêtement, à l’objet en tant que tel ? »

LF : «  J’ai deux types de rapports. Tout d’abord il faut que le vêtement soit confortable. Par exemple je ne peux pas porter des choses qui me blessent, qui me font mal, comme les talons, même si je suis jolie dedans. »

D: «  D’accord, donc tu n’aimes pas le masochisme féminin par rapport au vêtement? »

 LF : « Pas du tout. Idem pour les cheveux. J’ai acheté un sèche-cheveux depuis seulement un mois par exemple. J’ai un rapport au prix aussi, en matière de vêtement. Pour le shooting de Elle, j’ai voulu m’acheter un joli t-shirt. J’ai été aux Galeries Lafayette pour la première fois de ma vie, et je n’ai rien trouvé à moins de 50€. Là je me suis dit que je n’étais pas faite pour les grands magasins. Mais ce n’est pas grave. C’est même très bien comme ça, parce que dans ma garde robe j’arrive à avoir du Calvin Klein, du Comptoir des Cotonniers, du Chanel, en allant acheter mes vêtements dans les friperies. »

D: «  Tu cherches vraiment les bons plans ? »

 LF : « Oui, vraiment que les bons plans. Mais je chine, j’adore ça. »

 D: « Projetons nous dans le futur ; imaginons, tu parviens à sortir de la précarité, qu’est ce que ça va changer pour toi ? Parce que pour moi, ton livre c’est une sorte de Zola Y. Un Zola des jeunes en 2014, dans cette dimension un peu misérabiliste et naturaliste. Comment tu vis cette formulation ? »

 LF: « Ce qui est intéressant en fait, c’est ce rapport aux « adultes ». Mon éditrice par exemple, m’a demandé à un moment si ce que j’écrivais était réel. Elle ne le croyait pas, et ça l’exaspérait par ce qu’elle ne concevait pas que cela soit possible. L’idée, c’était de montrer la vie telle qu’elle est vraiment, mais de refuser la posture victimaire.

Et pour revenir sur mon rapport au vêtement, j’ai horreur que l’on vienne m’engueuler parce que j’ai des chaussures qui valent 150€, alors que je les ai payées 40€ porte de Clignancourt. Parce que je n’ai pas 150€ à gaspiller dans des baskets. Ou sinon, il y a un journaliste qui m’a offert un rouge à lèvres Chanel, je suis très contente, mais je suis à deux doigts de le revendre sur LeBonCoin, parce que moi, j’ai avant tout besoin d’argent. Donc la marque, oui, mais dans ce qu’il me plaît. Mon trench Comptoir des Cotonniers que j’ai payé 4€, j’en suis très fière. »

 D: « C’est à dire que le plaisir marque pour toi il est avant tout lié au rabais que tu as réussi à obtenir ? »

 LF : « Moi, ça ne m’intéresse pas de porter un pantalon à 500€, qu’il vienne de chez Sandro ou Maje. Un pantalon Maje à 15€, ça, ça me plait. »

 D: « Parce que t’aimes hacker le système en vrai? »

 LF : «  Clairement. Mais pourtant mon objectif par la suite, c’est de pouvoir m’acheter avec ma première vraie paye un sac à 1600€. »

 D: « En fait, ton sac c’est un peu l’équivalent de la Rolex de Séguéla. »

 LF : « C’est ça. Je veux un sac que je puisse après redonner à ma fille. Je veux pouvoir être en jogging avec ce sac et avoir quand même l’air bien. Mais je n’en veux pas deux, je n’en veux pas trois, je n’en veux qu’un. Je veux un beau sac. Et je suis prête à dépenser trois mois de loyer pour l’avoir.

D:   »Donc je pense en fait, que pour ta génération le luxe  c’est une médaille ; le signe de ton travail. Tu ne vas pas jalouser tes copines qui ont un sac de luxe par exemple. »

 LF: « Non, c’est pas pareil ; le sac de luxe je l’aurai plus tard.  Mais par exemple, lorsque j’étais au lycée, une de mes copines a dépensé 1500€ pour un sac. Ça ma choqué. Je ne trouve pas ça normal à l’âge que l’on avait de faire ça. »

 D: « Entre un même vêtement de marque et sans marque tu choisis quoi ? »

LF : «  Le vêtement de marque. Parce que la marque est quand même un gage de qualité. Je ne suis pas jusqu’au boutiste. »

 D: « Si on oublie tes problèmes d’argent, quelles sont les marques qui te parlent, où tu aimes acheter ? Pour acheter ton sac par exemple. »

LF: «  Ca serait un Chloé ou un Céline, parce que c’est joli, j’aime ce qu’ils font. »

 D: « La marque te plaît ? »

 LF: « Moi je ne lis pas Vogue, je ne m’y connais pas énormément, mais il y a deux ou trois marques que j’ai vues et je me suis dis, ce sac il a de la gueule. Il habille quelqu’un juste par sa ligne. »

 D: « En tant que chroniqueuse média, comment peux tu expliquer que les gens de ma génération n’aient jamais écrit « Je c’est Nous » ? »

 LF: « Parce que vous avez créé l’individualisme. Ma génération, moi en tout cas, on essaye d’évoluer en dehors de ça. Mais c’et vrai que c’est très dur de se construire dans un monde où l’individualisme prime. »

D: «  Pour reprendre le titre de ton livre : « les affamés ». Tu es affamé de quoi ? »

 LF: « De tout, et surtout de ne pas être rassasié. »

 D: « C’est pas très compatible le luxe avec le fait d’être affamé. Parce que le luxe peut tourner à la luxure. »

 LF : « Oui, c’est un des 7 péchés capitaux. Mais c’est être affamé de nourriture en premier. Pouvoir manger à sa faim, et ce que je veux. Mais c’est aussi jouir du monde. Pouvoir avoir sa place dans la société, en respectant son éthique, et sans se blesser, sans aller contre ses idées.

D: » Une dernière question pour finir. Tu évoques un peu ta petite sœur dans ton livre. Comment est ce que tu vois la génération d’en dessous, la génération qui vient après toi ?

 LF: « C’est une catastrophe ! J’ai entendu à la radio une femme qui expliquait qu’elle ne peut plus payer son esthéticienne parce qu’elle doit payer celle de sa fille de 10 ans à la place. Parce que la gamine se faisait faire le maillot brésilien. Pour moi là il y a un gros gros problème. Quand je vois comment les copines de ma sœur parlent, comment elles s’habillent. Quand je vois  comment parlent les jeunes dans la rue, avec quelle violence. Je suis totalement affolée. Je pense que quand tu te construits en regardant Nabilla et que tu es persuadé que la seule manière de réussir dans la vie c’est de montrer tes fesses, je pense que tu n’arriveras à rien. »

 Les Affamés de Léa Frédéval