Comment comprendre la situation ? Elle déjoue tous les pronostics.
Nicolas Sarkozy, en son temps, avait réussi à déminer nombre de menaces sociales. Il avait pourtant pris des risques. On se souvient de la réforme des retraites de 2010, présentée en commission parlementaire en juillet. Ou des successives réductions de postes dans l'Education nationale, présentées au printemps pour la rentrée suivante. Pourtant, rarement ces mauvaises décisions ne déclenchèrent de grèves.
Le gouvernement Valls a sous-estimé l'essentiel, la goutte d'eau qui fait déborder un vase trop plein.
Depuis 10 jours, les cheminots de la SNCF et quelques nombreux collègues sont en grève pour un projet que pourtant pas grand monde du grand public ne pouvaient comprendre. Il ne s'agissait ni de salaires, ni de retraites. Simplement de l'avenir d'un service public, la recomposition du pôle public de transport.
Bien sûr, quelques journaux néo-lib préféraient décrire le mouvement différemment. Ils comparaient même cette protestation de salariés avec celle des chauffeurs de taxis. Il suffisait pourtant de lire les tracts de la CGT, un vrai travail pédagogique. Ou d'écouter les portes-paroles du mouvement. Les mots d'ordre sont simples.
Le gouvernement veut regrouper sous une holding commune la SNCF (le transport) et Réseaux Ferrés de France (les infrastructures). Les grévistes critiquent les transferts de personnels, le maintien de la séparation du pôle public, le portage de la dette par RFF comme avant, la création d'une hydre à 3 entreprises sans unité sociale, la dénonciation des conventions collectives en place pour en négocier une nouvelle incluant secteurs privé et public.
Manuel Valls s'est laissé surprendre par cette grève estivale. Lundi le jour du Bac, il râlait sur France info. Manuel Valls était énervé. "Cette grève à la SNCF n'est pas utile et n'est pas responsable, il est temps d'arrêter." Et il ajoute:
"Je regrette que cette grève continue car nous n'en voyons pas le sens".Manuel Valls est dépassé. La nouvelle n'est pas neuve.
Manuel Valls s'est laissé surprendre par cette grève estivale, mais ce n'était pas la seule. Il y avait aussi les intermittents du spectacle. En cause, une disposition de la nouvelle convention collective signée par le MEDEF et la CFDT, avec l'assentiment du ministère de la Culture, qui prévoit un durcissement de leurs conditions d'indemnisation.
Le gouvernement aurait pu deviner que la période estivale est propice à des actions visibles des intermittents du spectacle, professions précaires pour un secteur pourtant essentiel à la culture d'un pays. Face aux intermittents, Valls a vite cédé, sur France info: "il faut revoir le dispositif des intermittents car le système est à bout de souffle".
Valls fait le tri entre les grèves.
Le gouvernement n'a pas vu ses grèves arriver. Certes, ce n'est pas mai 1968, loin de là. C'est d'autant plus surprenant qu'elles durent ainsi, nullement portées par un quelque mouvement national de plus grande ampleur.
Il y a une explication pourtant toute simple, évidente pour qui voulait comprendre la situation du pays. Cette explication à ces accès de rage localisés tient en une phrase: à force de s'obstiner dans un discours sur la "compétitivité", l'offre plutôt que la demande, les exonérations de cotisations plutôt que la protection sociale, bref, à force de jouer au président des patrons plutôt que de la République, François Hollande s'est privé d'un formidable ressort politique - la patience de l'électorat, elle-même nourrie par l'espoir que cela ira mieux demain.
C'est un mystère, le "mystère Hollande" . Ce même président montre sa joie à regarder un match de l'équipe de France de football, dimanche contre le Honduras, mais affiche sa "fermeté" à l'encontre de cheminots qui ne voteront plus pour lui.
Le discours dominant au sommet de l'Etat est inefficace pour calmer ces grognes. Cheminots ou intermittents, c'est une partie de ce "peuple de gauche", désormais introuvable dans les urnes, qui manifeste. L'obstination atone du sommet de l'Etat en devient surprenante. Quand des députés proches puisque socialistes tentent de provoquer un débat pour amender la distribution des économies et bénéfices du Pacte de compétitivité et de solidarité, on les traite de sécessionnistes, on menace ou on ignore. Quel aveuglement ! A l'Assemblée, le fameux Pacte avec ses 41 milliards d'euros de réduction de charges sociales déboule pour examen. Hollande ne lit-il plus que les rapports de la Cpur des Comptes ? L'institution vient de livrer un énième rapport où elle livre ses remèdes "factuels" - supprimer 30.000 postes dans la fonction publique, pour l'essentiel dans les hôpitaux et les collectivités locales (Vous avez bien lu, les hôpitaux).
Il est une cause qui ne suscitera ni grève ni protestation nationale. Lundi, un adolescent rom a été lynché à Pierrefitte. Premier ministre et président se sont émus.
C'était déjà ça.
Crédit illustration: DoZone Parody