Navi Radjou est l’invité de l’Institut du Mentorat, pour une session spéciale. Voici mes notes prises à cette occasion.
L’innovation Jugaad est un nouveau modèle d’innovation, une innovation de base, de terrain, de grande ampleur, qui change le monde industrie par industrie.
Dans le monde occidental, l’innovation est synonyme de Recherche et développement. Cette activité représente plusieurs centaines de milliards de dollars investis, et pourtant, selon une étude de Booz Allen, le retour sur investissement de cette activité de R&D est faible. Pourquoi?
Plusieurs raison à cela. De tels investissements, par exemple, vise à la répétabilité, et non à l’agilité. Ils ne laissent pas libre court à l’imagination, puisqu’on parle de gros sous. L’innovation, dans ces entreprises là, est lente. Les processus rigides étouffent la créativité et l’agilité.
Deuxième problème, le modèle d’innovation est “trop fermé”. La R&D interne n’est pas capable de répondre à la demande d’innovation globale. Les talents qui en sont capables, eux, travaillent probablement à l’extérieur de l’entreprise.
Les modèles d’innovation actuels sont coûteux, lents et fermés. Comment y remédier?
Dans les marchés émergents, les gens ont tendance à penser “out of the box“. En occident, on se pose la question de faire communiquer son frigo avec son téléphone portable pour garantir le réapprovisionnement: problème de riche. En Inde, une personne s’est demandé plutôt comment faire fonctionner un frigo sans électricité. Et il a inventé un tel frigo.
L’adversité est le père de l’invention: face aux problèmes, soit on se confronte, soit on s’enfuit. Chez les chinois, on fait mieux, on cherche à transformer l’adversité en opportunité. Comme Kanak Das, qui, lassé des nids de poule, a inventé un accélérateur de vélos basé sur les défauts de la route. Ou se procédé de recharge de téléphone portable connecté à un vélo. Ou ce procédé péruvien qui convertit l’humidité de l’air en eau potable. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme: l’obsolescence programmée n’a pas de sens dans les pays en voie de développement.
Ces techniques d’innovation frugale sont désormais adoptées par de grands groupes comme Tata, avec la Tata Nano, ou cet hôpital indien qui propose des opérations du coeur pour 3000$, soit le 10e du prix pour ce type de prestation aux Etats-Unis.
Le continent qui deviendra la continent de l’innovation frugale, c’est l’Afrique. Des milliers de solutions ingénieuses sont mises au point, basées sur des technologies de pointe, mais pour des usages différents de ceux que nous connaissons. Au Kenya, il y a plus de téléphones portables que de brosses à dents. 18% du PIB Kenyan s’effectue via le service de paiement mobile m-pesa, totalement dématérialisé.
Les répercussions vont jusqu’à la création de satellites d’observation: 5 ans de développement pour un budget de $679 millions pour la NASA pour explorer Mars, alors que le projet équivalent en Inde a pris 18 mois et a coûté $69 millions. (note: est-ce vraiment ici une question de solution ingénieuse, ou plutôt de coût de développement comparé entre l’Inde et les US?…)
Pour Navi Radjou, tout est question d’attitude, de capacité d’improviser et de trouver une solution non parfaite, mais juste satisfaisante pour réussir à fonctionner même avec des ressources limitées (note: le bon vieux système-D français?…). L’esprit Jugaad, c’est l’esprit MacGyver. C’est ‘anti James Bond, l’orchestre de Jazz où chacun est capable d’improviser.
Comment intégrer le modèle d’innovation Jugaad au sein des entreprises? Trois piliers: frugalité, agilité, inclusion.
La frugalité
C’est faire mieux avec moins. C’est une question de survie, et la crise rend cette approche nécessaire même en occident. Le pouvoir d’achat s’est amoindri progressivement depuis 2008. Mais pas uniquement à cause de la crise. Selon le CREDOC, les génération Y/Z font preuve de frugalité volontaire, ils veulent consommer moins et mieux. La raréfaction des ressources y contribue également. L’innovation frugale, c’est maximiser la valeur en minimisant les ressources. Attention, ce n’est pas du low cost, et c’est du vrai business. La gamme “entrée de gamme” chez Renault représente 45% des revenus de Renault, avec des marges substantielles (car il n’y a pas de rabais sur ces produits).
Attention: la frugalité n’est pas une fin en soi, mais un moyen.
L’agilité
C’est une question de posture. Il faut savoir improviser un plan quand c’est nécessaire. Un exemple: le chinois Haier, qui constatant que des fermiers utilisaient leur machine à laver pour nettoyer des pommes de terre, a compris qu’il s’agissait d’un besoin latent et a fait progresser ses produits.
L’inclusion
Il s’agit par exemple d’inclure tous les employés dans le processus d’innovation. Pas simple dans le cadre de notre culture d’écoles d’ingénieurs, où l’innovation est l’apanage des bac+7. Il s’agit aussi d’inclure des personnes en mare de la société, personnes handicapées, personnes âgées, pour concevoir des produits qui répondent aux besoins de tous. Ou des acteurs des pays émergents. Ou des inventeurs et des startups du monde entier.
Comment l’innovation frugale se manifeste-t-elle en occident? Plusieurs pistes.
- L’économie de partage: BlaVlaCar, AirBnB, etc. Les plateformes de crowdfunding.
- L’économie circulaire (cf. Craddle to Craddle) représente une opportunité de $2000 milliards. Par exemple, Jacques Vabre qui récupère le marc de café pour cultiver des champignons qui seront ensuite réintroduits sur le circuit alimentaire.
- L’économie du bricolage: la démocratisation des imprimantes D, les circuits courts, etc. (note: cela me fait penser à une interview de Georges Charpak il y a quelques années dans Le Monde, où le prix Nobel revalorisait le bricolage à des fins scientifiques et industrielles)
L’idée, c’est de passer d’une culture “d’ingénieur” à une culture “d’ingénieux”. Cela suppose non seulement du temps dédié, mais aussi un lieu dédié. Et de rompre avec la culture de l’évaluation de l’innovation, qui brime l’imagination.
Au final, je le concède aisément, Navi Radjou est un formidable conférencier, dont le discours très construit s’appuie sur une multitude d’idées et d’exemples innovants, qui mettent en avant quelques grands groupes qui reviennent de manière récurrente. Mais je reste néanmoins sur ma faim à l’issue de cette conférence, dont je ne sais qui en tirera quoi que ce soit de manière opérationnelle. Peut-être suis-je un peu négatif, ou trop exigeant.