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LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2014: Gustavo DUDAMEL dirige le SYMPHONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS (BEETHOVEN-STRAVINSKI)

Publié le 17 juin 2014 par Wanderer
Gustavo Dudamel © Vern.Evans

Gustavo Dudamel © Vern.Evans

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sinfonie Nr. 6 en fa majeur op. 68 Pastorale
Igor Strawinsky (1882-1971)
Le Sacre du Printemps

Le festival de Pâques de Lucerne propose traditionnellement une mini résidence du Symphonieorchester des Bayerischen Runfunks, et cette année, c'est Gustavo Dudamel et Andris Nelsons, les stars de la nouvelle génération, qui le dirigent à tour de rôle.

Qui est Gustavo Dudamel ? Est-il un superficiel ? Un médiatique ? Un travailleur ? Un classique ? Un novateur ? Quelle place a-t-il dans l’actuel Panthéon des chefs ?
Et d’où vient son immense popularité ?
Ayant suivi sa carrière depuis les origines, lorsqu’il effectua ses premières tournées en Europe avec l’orchestre Simon Bolivar des jeunes du Venezuela qu’il dirigeait à 19 ans, lorsqu’après avoir remporté le concours de direction d’orchestre Gustav Mahler de Bamberg, il dirigea l’automne suivant les Bamberger Symphoniker, dans un programme Jean Françaix (bien connu en Allemagne) et Saint-Saëns (Symphonie avec orgue).
On remarquait immédiatement des qualités notables : sens de la dynamique, extrême précision du geste, pulsation rythmique marquée.
Très vite sa carrière a explosé, et même à l’opéra : il fut appelé à la Scala par Stéphane Lissner pour diriger Don Giovanni dans une mise en scène de Peter Mussbach, et la scène de la mort de Don Giovanni reste ancrée dans ma mémoire, elle me rappelait en effet Furtwängler.
Malheureusement, les autres expériences à l’opéra (Bohème, Rigoletto) furent assez décevantes :  Dudamel s’occupe avec un soin extrême de l’orchestre, pas forcément des chanteurs.
Car, chef d’orchestre depuis l’âge de 14 ans et ayant fait ses armes auprès de l’orchestre des Jeunes du Venezuela, il a dû à la fois diriger et former, et effectuer un travail de grande précision auprès de musiciens formés sur le tas, dans l’orchestre et par l’orchestre, pour leur permettre d’arriver au niveau exceptionnel qu’ils ont atteint.
J’avais en tête tous ces souvenirs en voyant Gustavo Dudamel diriger le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks.
Je ne l’avais pas entendu depuis plusieurs années lors de ce concert de Lucerne. Et j’avais entendu des avis contrastés de la part de ceux qui avaient écouté certains de ses concerts. Les derniers (à Paris, Requiem de Berlioz à Notre Dame) étaient unanimement salués, d’autres expériences avaient été moins heureuses : on l’estime tantôt froid et peu expressif, tantôt métronomique (sic), tantôt très (trop) classique tantôt très (trop) sirupeux.
Rien de tout cela ce soir.
Le programme proposait en première partie la Symphonie n°6 Pastorale de Beethoven, une pièce rebattue, qui permet aussi d’innover dans l’interprétation: pour ma part quand je l’écoute elle me rappelle le tableau de Giorgione, La Tempesta (Galerie de l’Académie à Venise). Une femme (gitane ?) protégeant un bébé  au premier plan qui regarde le spectateur et un soldat tourné vers elle face à un paysage qui commence à s’agiter au milieu d’une végétation abondante, avec en arrière plan une ville sous un ciel menaçant.
Il y a dans ce tableau quelque chose de serein, et en même temps d’inquiétant. Une composition qui met en scène une nature luxuriante envahissante, et une ville, et de l’eau, et deux êtres un peu perdus, ou là par hasard. Et quand je lis les lignes de Berlioz sur cette symphonie, je comprends, par Giorgione interposé, ce qu’il veut nous dire lorsqu’il parle de paysage composé par Poussin et dessiné par Michel Ange. Je tiens le tableau de Giorgione comme l’un des plus grands de l’histoire de la peinture, et lorsque je reviens à Venise, je vais systématiquement le voir comme aimanté par ce regard féminin un peu mystérieux, vaguement craintif, et pourtant d’une étrange sérénité.
Et la Pastorale de Beethoven, c’est pour moi la musique qui convient à cet univers, une nature qui n’a rien de mièvre, qui n’a rien de bucolique, qui n’a rien de pastoral au sens du XVIIème : pas de bergers ni de bergères, adieu Tircis, adieu le Tendre mais une vision syncrétique des sons, des bruits, des fluides mystérieux de la nature, avec leurs contrastes et leur violence, leur douceur et leur souffle.
Dudamel aborde l’œuvre, que le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks connaît bien et qu’il a jouée avec Mariss Jansons son chef il n’y a pas si longtemps, d’une manière qui évite toute mièvrerie, avec une sorte d’objectivité étonnante, laissant la musique parler sans jamais se laisser aller à je ne sais quelle complaisance. Le son est plein, décidé, fabuleusement clair. Il y a lecture, il y a vraie direction de quelqu’un qui sait ce qu’il veut offrir. Ce Beethoven-là est un vrai tableau, c’est une véritable description qu’il conduit, et qu’il balaie. Mon mouvement préféré, le quatrième ( Gewitter - Sturm ) est abordé de manière à la fois sèche et prodigieusement précise, qui met en valeur les fulgurances de l’orchestration beethovénienne, s’emparant d’un topos de la musique descriptive qui court les opéras de Vivaldi à Rossini pour en faire un instantané inquiétant, où les choses deviennent personnes, où la nature devient presque terreur, une nature qui parle. C’est magnifiquement interprété et coloré.

Gustavo Dudamel

Gustavo Dudamel

J’avoue avoir été étonné de la maturité de ce travail, et du son extraordinaire qui en sort, un son à la fois plein, présent, sans jamais être un son à effets, alors que ce serait si facile.
Et c’est la même impression avec le Sacre du Printemps, une pièce que Dudamel affectionne, et qui prolonge d’une certaine manière cette vision païenne de la nature, par une célébration sacrificielle. Ici, en maître absolu de l’orchestre, Dudamel impulse, c’est à dire instille une pulsion phénoménale qui semble venir des profondeurs. Il n’y a rien là de descriptif, il y a là un véritable regard, froid, méthodique, un regard non plus à la Giorgione, mais à la Flaubert, au Flaubert de Salammbô, exact, précis et à la fois terriblement romanesque, quelque chose de monumental et d’écrasant. J’ai vraiment admiré l’animation, c’est à dire le paysage plein de souffle et d‘âme qu’il réussit à dessiner, animus et anima, et il sollicite l’orchestre pour créer des contrastes d’images sonores brutales, sans jamais aucune scorie, des sons d’une précision presque inhumaine, la messe inquiétante de la nature.
Ce concert fut pour moi une sorte de fête de correspondances, musique, peinture, littérature se répondent en une sorte de fête sabbatique dont je garde encore un souvenir vibrant. Dudamel m’a étonné, m’a même saisi. Grand, vraiment.

Gustavo Dudamel & Andris Nelsons après l'acte III de Parsifal (Lucerne, 12 avril 2014)

Gustavo Dudamel & Andris Nelsons après l'acte III de Parsifal (Lucerne, 12 avril 2014)


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