de Tracy Chevalier
Editions Poche Folio - 2002
La très jeune Griet, du haut de ses 16 ans, doit déjà quitter le foyer pour subvenir aux besoins de sa famille, depuis que son père, accidenté, ne peut guère plus travailler. Nous sommes dans les années 1660, à Delft, Pays Bas. Dans la maison de Johannes Vermeer, on recrute une jeune fille pour le ménage, alors ça tombe bien. Elle devra s'occuper du linge, des courses, et autres réjouissances. Elle devra aussi et surtout ranger l'atelier du maître, méticuleux voire maniaque. C'est un privilège de pénétrer quotidiennement dans cette pièce réservée, et même d'y dormir. C'est aussi un sacerdoce que de garder secret les tâches nobles qu'elle accomplit pour lui, dans l'ignorance de Catharina, l'épouse du peintre qui enchaîne les grossesses pour lui donner une dizaine d'enfants, qu'il faut nourrir dans la difficulté.A l'heure de l'omniprésence et de la banalisation de l'image, il est dépaysant de se plonger dans un récit où la représentation picturale revêt autant de sacralité et de subversion. Et d'anti-instantanéité. Car il s'en écoulent des semaines avant que Vermeer ne parachève ses tableaux, ne revienne sur ses détails, ne retravaille la lumière.
Extrait :"I shall have to explain to her when I see her on Sunday, I thought. I have two families now, and they must not mix. I was always ashamed afterward that I had turned my back on my own sister."Une fois n'est pas coutume, j'ai lu ce roman en anglais. Et assez facilement, ce doit être mon niveau. Des phrases simples, des champs lexicaux qui se répètent (tâches ménagères, boucherie, peinture), une syntaxe scolaire.A partir du tableau, l'auteure a bâti le portrait d'une jeune fille anonyme, et romancé celui d'un peintre de grande renommée. On découvre un homme discret, peut-être taciturne, autoritaire mais posé, tributaire de ses commanditaires. On découvre une jeune fille au tournant de sa vie de femme, une adolescente qui découvre le poids des responsabilités, les contraintes du travail et des ordres, la réalité douloureuses des classes sociales, l'intérêt nouveau que lui portent jeunes hommes et hommes, comme le fils du boucher qui la courtise pour le plus grand bonheur de sa mère. Qui découvre une nouvelle famille par ses secrets, par sa cruauté, par ses mensonges, par ses excès et ses calculs.C'est un roman lent qui fait sentir le poids écrasant du quotidien et de ses devoirs, à travers les yeux de cette fille pour qui tout est neuf, pour qui ce qui nous semble banal est hautement symbolique, pour qui la pudeur est de rigueur.Un beau roman touchant et réaliste. ________[merci Nadège !]