18 octobre.- Temps variable, semi-nuageux, mi-doux à demi tout. (17°C) Cioran, Cahiers. Émile est décidément impayable en pire. La seule expérience qu’il ait faite dans sa vie, c’est celle de l’ennui. Sur terre il n’y a pas pour lui d’ « occupation » et à vrai dire de « divertissement » possible. Il a dépassé même le vide : c’est pourquoi il lui est impossible de se tuer.Jaccard, Journal. Ce petit ton toisant un tantinet désagréable.19 octobre.- Chape nuageuse. Vent léger. Douceur sournoise. (21 °C)« À l’exclusion du sexuel, la nudité est naturelle dans la salle de bains et la chambre ; possible aux toilettes ; furtive dans le salon et l’entrée, qu’il faut traverser pour rejoindre la salle de bains ; incongrue dans la cuisine ou le bureau ; désagréable dans la cave. Le plaisir d’être nu chez soi est 1 performance douce.Le cauchemar : le camp de nudistes, attentat contre l’érotisme, qui culmine dans la supérette où l’on fait ses courses à poil. »
Mon intérieur étant plus frais que le commun et mutualisé extérieur me voilà très peu sautillant. La prochaine fois que je j’aurai la bonne fortune de le croiser il faudra que je saute à la gorge de ce chauffagiste écologiste qui me contraint au port obligatoire et stratifié d’un pull-over informe et d’une paire de chaussettes en tire-bouchon (19 °C c’est très peu pour l’intérieur d’un très peu actif). En attendant et en parlant d’Intérieur j’ai commencé la lecture du livre de Thomas Clerc (Intérieur, justement). C’est l’un des livres que j’aurai aimé écrire (il y en a d’autres). C’est même le livre que je voulais écrire. Thomas Clerc l’ayant écrit avant moi me voilà un tantinet jaloux, mais finalement pas tant que ça, car je m’imagine volontiers incapable de mener à bien un tel projet. Je suis en effet rempli de velléités que je ne parviens jamais à faire fleurir. Le ratiocineur est souvent piètre jardinier tout comme il n’est que très rarement grand écrivain. Il faut savoir se « lancer » et je ne me lance pour ainsi dire jamais. Allez lancer de la vapeur d’être et vous verrez où je veux en venir. Cela dit si j’avais eu la bonne fortune d’écrire un livre sur mon appartement, mon Intérieur à moi, il aurait été moins post conceptuel et assurément plus court (mon logement ne mesurant que 30 m2). Il aurait été aussi plus attaché aux flots des souvenirs tout en dissipant un petit air plaintif qui m’aurait fait mal voir du côté des tenants du souriant. Celui de Clerc est souvent drôle, jamais plaintif ; un bel exemple de littérature post-tout un brin lactescente. Après avoir visité l’entrée, la salle de bains et les toilettes, j’entre dans la cuisine. Visite pour l’instant fort agréable…
20 octobre.- Demi-saison. Quelques averses, quelques soleillées. (17°C) Vaguement malade. Passé une grande partie de la journée dans la cuisine de Thomas Clerc. Ce n’est pas un très grand cuisinier, mais il aime beaucoup ses appareils ménagers. Son livre est quant à lui toujours savoureux, avec ce goût post conceptuel avancé ce faux style fonctionnel au service de l’énumération, de l’épuisement sur plan et du drolatique.24 octobre.- Ciel bleu pâle. Douceur persistante. (20°C) Vraiment malade. Hospitalisation inopportune. Rien de grave. Me revoilà. J’entre dans le salon de Thomas Clerc. Du fonctionnel pour l’instant. Nothing else.26 octobre.- Ciel bleuâtre simplement dérangé par d’infimes traînes ivoirines. Douceur incongrue. (23°C)Être snob, cela se mérite.Il y a deux choses qui peuvent sauver un homme : l’estime qu’il se porte lui-même et l’autodérision.« … Le thé calme. Les toilettes servent ; la fenêtre délasse. La sieste tente. Le téléphone divertit. La télé déconcentre. Le sexe vide. La rue agresse. Rien ne vaut 1 bon tour de maison. »
Le livre de Thomas Clerc est formidable. Pour un peu j’entrerai dans son bureau tout en sautillant. Lieu crucial s’il en est. Cœur du livre. Bureau donc, la pièce ce lieu de travail (et non de labeur), mais aussi cette planche de bois ouvragée posée sur quatre pieds et agrémentée de tiroirs bien utiles. Sur cette planche de bois sont posés divers objets, un téléphone, un ordinateur Apple, des clés USB… Sous cette planche, dans les tiroirs suspendus sont rangés d’autres objets que je ne vais décrire (je suis fatigué et Clerc le fait très bien en Ponge moderne pour moi). Bureau donc, bibliothèque aussi, cette succession de planches alignées dans laquelle on ne rentre pas vraiment (ce sera certainement le sujet d’un autre livre… plus tard). On oublie donc l’intérieur la proximité froufroutante des auteurs pour se concentrer sur du pure fonctionnel à tendance oulipesque. Comment classer les livres ? Par ordre alphabétique ? Par Collection ? Par couleur ? Par taille ? Clerc opte pour l’ordre alphabétique, puis il nous parle un peu de ses vieux 33 tours de musique New Wave qu’il range verticalement.
27 octobre.- Ciel flandrien. Toujours cette douceur hors de saison. (23°C)« L’esthétique du col roulé, qui souligne le cou tout en le protégeant, offre 1 échappatoire à la chemise autant qu’au style des chefs. Son chic dérivé évoque à la fois Duras et Robbe-Grillet, les années 70, la prêtrise ouvrière et le style simplement décontracté d’1 certaine bourgeoisie alternative qu’on rencontre dans les films de la nouvelle vague… »La penderie de Thomas Clerc m’aura un peu moins intéressé. Les vêtements ne m’inspirent rien ou presque. Je suis un dandy en robe de chambre. Clerc l’est beaucoup moins, tout du moins je l’imagine, 25 chemises c’est beaucoup. Reste que son livre est formidable. Je l’ai fini rempli d’une pleine satisfaction tout en regardant de biais.28 octobre.- Ciel ambré. Quasi tiédeur. (23°C) Mort de Lou Reed. Réécouté Coney Island Baby et le troisième Velvet. Du calme apparent. Cioran, Joubert. Ces quelques mots qu’Horace Walpole écrivit à la très peu sautillante marquise du Deffand : « Les bagatelles qui m’amusent, voilà les seules affaires dont je fasse cas à présent. J’ai vu la vanité de tout ce qui est sérieux et la fausseté de tout ce qui a la prétention de l’être. »31 octobre.- Température en baisse. Température en baisse. (13°C)« Car les temps sont dangereux. Ce ne sont pas fariboles. Chose plus facile en nature seroit, nourrir en l’aër les poissons, paistre les cerfz on fond de l’Océan, que supporter ceste truandaille de monde. »3.
1 novembre.- Ciel chagrin, température semi-automnale. (16°C)« Mon corps est mon église ; j’en ai fait mon cheval ». Jo BousquetJour des saints. Morne plaine. Nuit précoce. Mankell. Le guerrier solitaire. Wallander épisode 6. Quiétude scandinave. Fausse quiétude scandinave ? Parfaitement concordant avec le ciel derrière les rideaux
2 novembre.- Ciel gris bleu, vent léger, douceur fourbe. (17°C) Jour des morts. Langueur amniotique. Chez Mankell on se tutoie, on pisse dans la mer Baltique. Un tueur en série rôde. Il est peu trop peinturluré pour être honnête. L’intrigue n’est pas fulminante, mais le livre se laisse lire sans déplaisir. Peut-être ce confort cotonneux, cette mollesse sociale-démocrate. Certainement…3 novembre.- Ciel trempé, humidité, grande humidité ! (15°C) Le Guerrier solitaire devient presque trépidant dans sa seconde partie. La Scanie brule sous un chaud soleil d’été et les serials killers ne sont pas en reste. Le tout est assez distrayant, il faut bien l’avouer. (Les vingt dernières pages, qui viennent après la résolution de l’intrigue, n’apportent rien si ce n’est une petite brouette de moraline pelucheuse.)4 novembre.- Rares averses. (13°C) Lire : Autoportrait (Édouard Levé), Journal d’un mort (Marcel Béalu), Lettre sur les chimpanzés (Clément Rosset), Effondrement (Jared Diamond).5 novembre.- Crachin. (9°C) J’enterrerai mon âme puis j’irai dîner en ville.Cioran, Carnets, chagrin. Stendhal, Journal, joie.7 novembre.- Grisaille pelucheuse. (18°C) Grande mollesse. La mollesse est une paresse voluptueuse. Un petit tour chez Cioran dans ses Cahiers, rien de bien souriant.8 novembre.- Ciel clair, douceur fourbe. (17°C) Il faut respecter la banalité, elle est éternelle. Julien Gracq écrivait devant une fenêtre ouverte, à la campagne, avec une vue largement étendue devant lui, un lointain. Il commençait ses livres par le début, les finissait par la fin. Ses phrases se chargeaient de rejets et d’incidentes qu’il « élaguait » par la suite. Il raturait mal, jetais dans la marge amorces et fragments autant d’appâts bien utiles par la suite. Son travail était lent et laborieux, « un peu en boule de neige ». Drôle de boule de neige à vrai dire.9 novembre.- Ciel bleu-blanc moucheté de quelques taches ocre. ( 13°C)Drôle de guerre, drôle de livre. Le Fidèle Berger ressemble à une mercerie vialatienne chamboulée. Tous les articles sont là, mais mis sens dessus dessous. Il faut dire que l’écrivant Vialatte était lui-même assez chamboulé. Il sortait d’une guerre perdue, d’une détention inopportune et d’un suicide raté (toutes choses qui généralement chamboulent le premier quidam qui passe). Ce livre-là n’a donc pas de mal à être son plus sombre. Tribulations hallucinées, petit côté Kafka, petit côté Conrad, petit côté diariste plein d’agonie consciente : « L’année scolaire 18-19 sortait du fond de la mémoire de Berger ruisselante de deuils et de gloires, comme un crêpe pailleté d’or qu’on sortirait d’une cave profonde. »10 novembre.- Ciel mordoré, averses sporadiques, début de froideur. (6°C)« Un enfant ramasse une pâquerette. Il la met dans de l’eau, elle ne demande pas plus. Elle vit, elle meurt. Elle ne pose pas de problème. À partir du moment où il tire les pétales, coupe la tige et gratte le cœur, il s’émerveille d’une vie si compliquée »Berger, prisonnier, veut en finir. Deux clous rouillés ne faisant pas l’affaire il se tranche les veines avec cette ampoule bleue qui le narguait juste là au-dessus de sa tête. On le retrouve pieds nus dans une flaque noire, enveloppé de sa chemise sanglante, avec des bras de boucher et une tête d’écrasé. La mort ne venant pas vraiment (la mort est parfois longue à venir), on le brancardise en des lieux plus lactescents. Deux bracelets aux poignets. Attaché au sommier. Quatre tours de clef. Le revoilà prisonnier. Tel un quidam incertain étendu dans le fond d’une barque il n’a plus que pour seul horizon un plafond des plus quelconques, un plafond uni. Après avoir choisi la mort, accepté la captivité, il endure la folie, qui vient, qui monte…11 novembre.- Ciel cobalt, bourrasques et fraicheur latente. (8 °C) « Dans mes périodes de dépression, je visualise l’enterrement consécutif à mon suicide, il y a beaucoup d’amis, de tristesse et de beauté, l’événement est si émouvant que j’ai envie de le vivre, donc de vivre. Je ne sais pas partir avec naturel… »Autoportrait. Le Tout sur Tout d’Édouard Levé. Inventaire non exhaustif. Conceptuel. Factuel. Pudique. Impudique. Froid. Chaud.Sec. Drôle. Émouvant. Implacable. Grand petit livre loin du roman-roman. Y aurait-il une issue possible dans la post-littérature ? En tous les cas, Levé compte beaucoup (et pour beaucoup). To be continued