Venise à l’époque de la Renaissance nous est bien connue : c’est la ville en pleine expansion où l’on construit de somptueux palais peints à fresques sur le grand canal, et qui accueille les plus grands artiste de l’Europe.
Le voyage d’Albrecht Dürer peut nous en donner quelques idées.
Mais il nous a été plus délicat de trouver des témoignages du mobilier qui remplissait ces belles demeures.
Les plus beaux meubles qui restaient encore à Venise après la chute de la République ont été pillés par les occupants. C’est donc en France et en Autriche que nous les avons retrouvés de nos jours.
Tout premier meuble d’un nouveau ménage, le cassone, coffre de mariage, est offert par le futur époux pour recevoir le trousseau de la mariée. Tout à la fois armoire et siège, il trouve sa place dans la chambre des époux.
Les ornements sculptés remplacent au XVIème siècle le décor peint. Ils continuent de s’inspirer des sources antiques pour exalter les valeurs du mariage. Ce très beau cassone allongé repose sur des pieds en patte de lion, et se couronne d’un abattant plat. La façade, profondément sculptée, ordonne symétriquement des masques de feuillage autour d’un long cartouche rectangulaire entouré de lanières de cuir recourbées en volutes.
Le cadre central ovale abrite une scène inédite: un homme jeune, à la longue chevelure, adopte la position des nymphes, corps étendu sur le sol, adossé à un coussin. Il s’accoude pour regarder le spectateur. Le paysage est réduit à un seul élément : la tente de parade du chef de guerre, à l’arrière plan. Sont ainsi mises en exergue les valeurs militaires du jeune noble qui s’identifie à un éphèbe grec. Représentation douce des vertus de force et de domination, idéal moral du chevalier. De part et d’autre de la scène centrale, de beaux mascarons féminins porteurs de diadème surmontent une opulente guirlande de fleurs et de fruits, symbole de fertilité et de fécondité, vertus féminines dans le mariage.
Les petits côtés construisent leur décor sur fond guilloché, dans un jeu de cadres emboités. Une frise de lierre entoure des fleurs aux longues étamines, affrontées de part et d’autre du cartouche central. Un dieu fleuve barbu s’appuie sur l’urne d’où coulent les flots, renforçant la métaphore de la fertilité. L’iconographie du coffre souligne les valeurs qui sont au cœur du mariage, obéissance de la femme, maternité et fertilité, dans un écrin d’ornements précieux, oves, rais de cœur, guirlandes, arabesques et mascarons.
Le lit, autre meuble important dans un couple, se transforme à cette époque pour devenir lit à baldaquins. Le lit à colonnes est un lit de milieu apparu au XVIème siècle. Aux angles du châlit, se dressent quatre supports pour soutenir le ciel, de même taille que le corps du lit. Le dais d’étoffe devient cadre architecturé en bois peint et doré.
Porté par des colonnes torsadées à chapiteau corinthien, il prend la forme d’un double galbe, au chevet et au pied du lit. Des lambrequins galonnés s’y accrochent, qui devaient initialement occuper les quatre côtés. Ils sont le substitut, en bois sculpté et ajouré, des bandes d’étoffe tombante, largement découpées et échancrées avec art, dont les tapissiers décoraient les ciels de lit. Ils reprennent les motifs de panaches ou de choux mis à la mode par l’Italie de la Renaissance. Couleur vive et dorure, légèreté et mouvement, renvoient au monde textile et à sa somptuosité. Mais l’architecture a imposé ses modèles : dessin du châlit, colonnes d’angle, présence de vases en partie haute. Les feuilles de chêne, à la base des colonnes, sont marques de puissance et de triomphe. Une tige fleurie s’en échappe, agrémentant les montants d’une double torse virtuose et très décorative. Les riches tissus des tentures et du ciel se déployaient sur cette merveilleuse armature, qu’ils montraient ou dissimulaient au gré de leur disposition. L’alliance réussie du bois peint et sculpté et de son enveloppe textile "brodée d’or, d’argent ou de soie", a servi à "confectionner ce mobilier unique dans l’histoire du monde" (Havard, Dictionnaire de l’ameublement).
La sedia dantesca, fauteuil en X fait de quatre montants qui se croisent deux par deux en formant l’arc brisé du gothique; cet arc supporte le siège constitué d’une large sangle de cuir. Un dossier droit, deux accotoirs et deux patins lui donnent l’aspect d’un faudesteuil.
Le décor sculpté souligne les points forts du ployant: fleur à quatre pétales dans les volutes de l’accotoir, pieds griffes en patte de lion pour les patins, et bouton mouluré typique de l’Italie du nord au croisement des branches de l’X. L’habillage d’étoffe aux couleurs vives valorise la teinte chaude du bois: la guirlande du dossier se frange d’or, alors qu’un coussin moelleux amortit la dureté de l’assise de cuir. Les broderies appliquées sur le fond rouge dessinent des panaches de fleurs blancs et or, assagis de touches de bleu.
La sedia savonarola (ou fauteuil en tenailles) : fauteuil en X issu du faudesteuil médiéval. Il est constitué de huit montants parallèles affectant un mouvement de contre-courbe formant un arc en accolade. Le dossier caractérisé par une découpe très sinueuse est souvent orné, en son centre par un écusson. Ce meuble marque le goût des sièges de la fin du Moyen âge qui perdure, sur un modèle connu depuis l’Antiquité.
Le piètement en X est constitué par l’entrecroisement de lamelles parallèles, maintenues par des traverses formant patins. Une seule série de montants s’élève au-dessus de l’assise, formant un dossier terminé par une large traverse. Chaque lamelle et la traverse basse sont moulurées. La traverse haute, reçoit un motif gravé de cercles concentriques qui agit comme un couronnement. Ces chaises sont très prisées, parce que faciles à déplacer et d’un faible encombrement.
La chaise à haut dossier, cette chaise monumentale possède souvent un fronton. Elle contient un coffre dans son assise mais perd son dais. Le dossier est formé par des planches jointes sur lesquelles se développe une ornementation.
Cette chaise, très caractéristique, se remarque par son grand sens du décor. Il équilibre, par le jeu des courbes et des volumes, la rigueur du type classique de siège à traverse d’entrejambe, plateau débordant et dossier droit. Autour des cartouches en bois de rapport des traverses, la sculpture en plein bois domine. Elle festonne chaque traverse de guirlandes de volutes symétriquement ordonnées. L’imposante traverse supérieure porte un écu de cuir découpé logeant deux petits personnages en buste en guise d’armoiries. L’écu est cantonné de deux profils à tête feuillagée terminés en volutes. Au sommet des montants, d’autres volutes couronnent des mascarons à visage humain, motifs décoratifs sans volonté de portraits
La Credenza est un des premiers meubles qui annoncent la Renaissance. Si l’Italie n’a pas connu le dressoir, elle a créé un meuble d’exposition spécifique, la credenza. A l’origine simple table, elle se transforme en armoire basse, avec serrure et clé. Elle joue le rôle de buffet dans les petites salles à manger, à la mode dans les classes aisées dès le Quattrocento; ou celui de table de toilette, sur laquelle on pose aiguière et bassin dans les chambres privées.
Deux caissons reposent sur une base moulurée et encadrent le corps principal ouvert à deux vantaux. La ceinture loge trois tiroirs et supporte un épais plateau débordant. Meuble d’une grande sobriété, il tire son rythme et son décor de sa structure et de sa forme. Quatre panneaux rapportés à pans coupés scandent la façade, surmontés de quatre cartouches allongés à l’étage des tiroirs. Des clous en laiton fixent les panneaux plaqués et se disposent en frise sur le rebord du plateau: leur tête ronde, losangée ou en forme de fleur, dessinent des lignes, s’étirent ou se groupent pour composer le décor.
Les poignées métalliques, en forme de bouton, occupent le centre des vantaux, alors que l’ouverture des tiroirs est assurée par de petits bustes de bronze.
La table est la copie de la table romaine. Elle est formée d’un plateau rectangulaire supporté par deux pieds extrêmes, reliés par une entretoise.
Ingénieux et original, ce modèle de table en noyer associe aux supports à patins un mécanisme simple et efficace de pieds pivotants. Le plateau rectangulaire, d’un seul tenant, repose sur des montants plats découpés en lyre qui logent un tiroir latéral en ceinture. Ils s’appuient sur de solides patins à la base en accolade. Une étonnante entretoise les relie, formée de deux traverses festonnées réunies par une pièce de bois chantournée percée d’un motif circulaire, possible support d’une vasque en terre cuite.
Deux larges pieds s’y adossent: ouverts, ils deviennent supports des volets arrondis qui doublent la surface de la table. Fermés, ils permettent de réduire sensiblement l’encombrement du meuble. Bel exemple de table à la fois fonctionnelle et théâtrale, il répond au goût d’une société où la recherche du faste n’exclut pas celle du confort
La bibliothèque, ici en bois de noyer et ronce de noyer.
La bibliothèque rassemble et conserve les livres. D’abord coffre, elle devient armoire. D’abord close, elle s’ouvre progressivement au regard. La beauté de sa forme et de son décor valorise sa fonction. Cette belle armoire bibliothèque se compose de deux corps divisés en trois travées et unis par une organisation homogène. Des moulures les délimitent, avec un ressaut au niveau des montants. Ces montants décaissés sont plaqués de feuilles de ronce de noyer. Les formes arrondies des panneaux inférieurs trouvent un écho dans la découpe des portes supérieures et la silhouette curviligne du fronton brisé. Les portes basses sont pleines et ferment à clé. Les portes hautes, ouvertes sur des rayonnages dont l’intérieur est garni de tissu rouge, exposent les belles reliures. Des toupies en forme de pots à feu encadrent le fronton central et couronnent le meuble, tel un édifice. Le livre, produit culturel dont Venise est devenue la capitale mondiale, se diffuse dans toutes les catégories sociales qui conjuguent pouvoir et richesse. Dans les intérieurs nobles et bourgeois, la bibliothèque est son corollaire. Dès la fin du dix – septième siècle, l’usage lui impose une construction et une structure spéciales. L’armature robuste doit soutenir des volumes lourds. Ses tablettes doivent être profondes, et assez espacées pour faciliter la manipulation. Elle doit être accessible, donc pas trop haute et divisée en deux parties. La possession d’une bibliothèque, devenue preuve de bonne éducation et de bon goût, multiplie les meubles dans les salles du même nom qui, désormais, leur sont dédiées.
Le cabinet est le meuble de rangement pour objets précieux. Il est composé de deux corps.
Ce cabinet, en bois noirci et placage de bois noirci incruste de filets d’os et d’ivoire, ouvrant a trois petites portes a frontons, encadrées de seize tiroirs, quatre colonnes détachées torsadées et quatre urnes enflammées, dans des encadrements de frises ondées. La porte centrale démasquant un théâtre a décor en perspective d’un damier sur fond de glaces et probables secrets. Corniche et façade enrichies de balustrades.
Les cabinets fermaient a clef et des tiroirs secrets souvent places dans le caisson étaient probablement destinés a abriter ce qu’il y avait de plus précieux. Au XVIème siècle, le cabinet connait un développement monumental. A cote des petits cabinets portatifs, se multiplient en effet les cabinets aux dimensions considérables, poses sur des pieds qui leurs sont destines. On sait que des princes et des membres de la cour, comme par exemple Richelieu et Mazarin, en possédaient plusieurs. On trouve une grande diversité de matériaux utilisés: écaille, pierres dures, ivoire, ébène, autres bois exotiques, panneaux peints, tissu ou broderies.
A Venise, un petit cabinet est appelé stipo. Ce meuble profondément original est un très petit cabinet que l’on posait sur une table console ou un piédestal. Sa façade, d’une grande rigueur architecturale, rappelle l’ordonnance d’un palais.
C’est un meuble structuré, en bois massif, plaqué de ronce de noyer sur les surfaces lisses. Les sculptures couvrent montants et architrave de bambocci, petites figurines en très haut relief, dégagées dans la masse. Très animées, formant couples, elles composent sur la façade un hymne à la vie et aux divinités de la nature, créatures des eaux et des bois porteuses d’offrandes. Faunes, groupes masculins, rares figures féminines, renvoient à la mythologie romaine et aux fêtes dionysiaques sous des mascarons d’angelots ailés. Chacun est différent de l’autre et animé d’un mouvement singulier. Leur disposition souligne l’architecture du meuble mais en cache les ouvertures. Le stipo est meuble du secret. Cinq façades visibles donnent accès à quatre tiroirs. Les bambocci de l’architrave cachent d’autres tiroirs, de même que l’entablement du vantail central. Les épais vantaux ouvrent sur des cavités au fond desquelles ils se logent. Signes de qualité: les discrètes entrées de serrure et les petites poignées métalliques, ainsi que la fonçure du même bois que la façade. Ce très élégant stipo sans abattant n’a jamais eu de fonction d’écritoire. Il est encore conçu comme un coffre reposant sur une base finement ornée de moulures, et coiffé d’un plateau très débordant et légèrement décaissé.
Bibliographie
Antiquités & Objets d’Art N°10 : Le Mobilier Italien, de la Renaissance à l’Art Déco. RUOTOLO Renato, BANDERA GREGORI Luis, GREGORI Mina