SIDI MOHAMED ILIÈS : CONTES DU DÉSERT
Textes recueillis par Jean Clottes
Illustré par Laurent Corvaisier
" Recueil de contes réalisés par l'auteur au Niger et en France auprès de Sidi Mohamed Ilies. A travers ces contes se retrouve un monde tout à la fois ancien, mythique et moderne. comme dans les fables de La Fontaine, les animaux ont des leçons à transmettre. Le chacal y tient une place imminente. Les problèmes de survie y sont toujours présents. Ces contes, c'est un peu de la vie traditionnelle des Touaregs qui vient jusqu'à nous ... "
Les deux voleurs
Extrait de la préface
Sidi Mohamed Iliès, touareg du Niger " a raconté toutes ces histoires, m'expliquant parfois les difficultés à traduire en français un concept ou un vocable tamacheq. Je lui posais des questions, lui faisant préciser certains points, évidents pour lui et pour des touaregs, mais certainement pas pour un lecteur européen.
C'est ainsi que ces histoires ont peu à peu franchi la double barrière qui s'épare l'oral de l'écrit et une culture d'une autre ".
Le Lièvre et le Lion
Dans une vallée de l'Aïr, un lièvre et un lion étaient voisins et vivaient en bonne entente. Le lièvre possédait une vache et le lion n taureau. Les deux voisins s'entraidaient dans la bonne humeur, l'un étant complémentaire de l'autre. Cela dura jusqu'à ce que la vache mît au monde un petit veau.
Après la naissance, le lion alla trouver le lièvre et lui dit : " Ce petit veau est à moi, parce que c'est mon taureau qui l'a conçu. " le lièvre protesta : " Il faut que le veau reste avec sa mère, et donc il est à moi. " Ne pouvant arriver à trouver une solution, ils décidèrent d'un commun accord de s'en remettre à la justice.
Le lion réunit alors tous les animaux de la brousse dans la vallée. Des hyènes, d'autres lions, des rhinocéros, des girafes, des adax, des oryx, et beaucoup d'oiseaux et de serpents de toutes sortes arrivèrent de partout. Mais il manquait Mahomed le chacal. On l'attendit longtemps, avec une impatience croissante.
Finalement, il arriva, mais il avait l'air très pressé. Il longea la foule des animaux et fit mine de continuer son chemin. Le lion le héla : " Hé, chacal, c'est toi qu'on attend !
- Oui, oui, je le sais bien, répondit Mohamed mais je suis obligé de passer sans m'arrêter, parce qu'il me faut aller ailleurs.
- Quelle est cette obligation aussi pressante ?
- Je vais au baptème du fils dont mon père vient d'accoucher la semaine dernière. "
Le lion trouva l'excuse ridicule et s'esclaffa : " Ecoutez-moi ça ! Depuis quand a-t-on vu un chacal mâle accoucher ? C'est impossible ! " Mohamed répondit : " Eh bien ! roi du désert, tu viens de prononcer toi-même ton jugement et tu n'as plus besoin de moi. Il ne te reste qu'à laisser au lièvre le veau qui lui appartient. "