Ayant la chance d’en être l’un des commissaires scientifiques, je ne pourrai naturellement porter un jugement sur Cet obscur objet de désirs. Je me permettrai simplement de témoigner de l’extraordinaire aventure humaine et intellectuelle que fut cette année, passée à réaliser cette exposition.
Aventure humaine, d’abords, vécue aux côtés de l’équipe du musée qui m’invita à cette collaboration, Frédérique Thomas-Maurin, conservateur en chef du musée Courbet, Julie Delmas, adjointe du conservateur et Elise Boudon, assistante de conservation qui assurent le commissariat général de l’exposition, ainsi que mes consœurs commissaires scientifiques, Antoinette Le Normand-Romain, directrice générale de l’Institut national d’histoire de l’art et Isolde Pludermacher, conservateur au musée d’Orsay. La complicité qui nous unit autour de ce projet, la spontanéité et la liberté de nos échanges, le professionnalisme dont elles firent preuve me permirent avant tout de beaucoup apprendre.
Aventure intellectuelle ensuite car nous avons beaucoup travaillé sur les orientations thématiques, afin d’écarter toute connotation grivoise. Le choix d’articuler le parcours sur différents types de regards fit très vite l’objet d’un consensus : « le regard du collectionneur » (les propriétaires successifs de la toile), « le regard érotique » (à travers le thème classique du satyre et de la nymphe, puis de l’intimité surprise, c’est-à-dire de la femme seule, observée par le peintre et le spectateur). La section centrale, intitulée « Capter le regard », fut choisie pour regrouper, outre L’Origine du monde, des œuvres majeures, comme Iris, messagère des dieux de Rodin, La Coquille d’Odilon Redon ou une grande interprétation d’Etant donné de Marcel Duchamp par André Raffray. S’imposaient ensuite, en toute logique, « le regard anatomique », qui montre comment le dévoilement du sexe féminin fut longtemps réservé à la science, seul alibi légitimé et autorisé, puis « le regard poétique », autour, notamment, de la Nymphe à la source de Lucas Cranach (version conservée à Besançon, probablement la plus belle du maître), pour s’achever sur « le regard contemporain » qui regroupe quelques travaux d’artistes de notre temps, dont la toile de Courbet est le dénominateur commun.
Réunir ainsi, notamment, des œuvres de Léonard de Vinci, d’Ingres, de Rembrandt, de Carrache, de Dürer, de Degas, Bonnard, Marcel Duchamp, Hans Bellmer, Louise Bourgeois, Jean-Jacques Lequeu, Utagawa Kuniyoshi, André Masson, Helmut Newton ou Pierre Buraglio, sans oublier une série de dessins érotiques de Rodin et la copie de L’Origine présumée réalisée par René Magritte (jamais, jusqu’à ce jour, présentée au public) fut un défi passionnant.
Le catalogue illustré (Lienart, musée Courbet, 176 pages, 25 €) inclut plusieurs essais, parmi lesquels une très sérieuse étude de Bruno Mottin, conservateur en chef au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, intitulée « L’Origine du monde, une approche technique ». L’auteur, qui s’est livré à de récentes explorations du tableau, apporte une fois pour toute la preuve scientifique que celui-ci est une œuvre originale et voulue telle quelle par le peintre. Il réduit ainsi à néant l’hypothèse farfelue de l’existence d’un visage, présentée le 7 février 2013 comme une évidence par le magazine Paris Match (voir à ce sujet deux articles publiés dans ces colonnes, ici et là.)