Secrets et mensonges - 8/10

Par Aelezig

Un film de Mike Leigh (1996 - France, UK) avec Brenda Blethyn, Marianne Jean-Baptiste, Timothy Spall, Claire Rushbrook, Phyllis Logan, Elizabeth Berrington, Lee Ross

Profondément émouvant.

L'histoire : Hortense, déjà orpheline de père, vient de perdre sa mère. Elle était adoptée, elle l'a appris dès l'enfance, mais ses parents ont été les plus merveilleux du monde. Une famille noire, aisée, bien intégrée, comme on dit. Hortense a fait des études, elle est élégante, vit dans un joli appartement, décor épuré et chic, côtoie des gens aussi brillants qu'elle. A l'occasion du décès de sa mère, le secret de sa naissance revient la titiller et elle décide d'aller découvrir qui était sa mère biologique. Grâce à l'agence d'adoption, elle retrouve rapidement sa trace. Mais il doit y avoir erreur : elle est blanche ! On lui certifique que non. Interloquée, encore plus curieuse de ses origines, Hortense la contacte. Sa mère Cynthia, d'abord épouvantée face à ce passé qu'elle avait soigneusement enterré dans sa mémoire, accepte finalement de rencontrer sa fille. Qui découvre une femme vieillie avant l'âge, sans aucune éducation, qui travaille en usine, à la chaîne, habite dans un quartier pauvre et semble être en perpétuel conflit avec son autre fille, Roxanne, irascible, ramasseuse de poubelles, dont le seul loisir est d'aller se "beurrer" au pub.

Mon avis : Je croyais connaître Mike Leigh mais je réalise, en vérifiant ce matin, que je n'ai vu en fait que deux films : Vera Drake et Be happy. Deux films très différents l'un de l'autre, qui ont pourtant en commun une réalisation parfaite, une grande intelligence de coeur, un message social et des personnages inoubliables. Secrets et mensonges est dans la même lignée ; j'ai adoré. Le film a reçu trois Palmes à Cannes, et d'autres récompenses de par le monde.

Si le début est un peu lent (le film est long et Mike Leigh aurait peut-être dû, selon moi, à couper quelques scènes), quand l'histoire s'installe pour de bon, le charme opère, cette famille totalement atypique nous captive, nous fait rire aussi (avec tendresse) et nous amène au bord des larmes. Non, non, ce n'est ni pathos ni mélo, car la légère caricature des personnages élève le débat au niveau de la fable et les rend encore plus attachants, car universels. Le contraste entre les "prolos" et le couple "bourgeois" fait penser au Long fleuve tranquille de Chatiliez, mais là où ce dernier reste dans la parodie totale, Mike Leigh ne l'utilise que par petites touches et si l'on rit de leurs réactions, de leur "déglingue", de leur appréhension des événements, on les trouve infiniment attendrissants... Et les acteurs sont prodigieux pour incarner ce paradoxe. Un régal.

A commencer par la merveilleuse Brendan Blethyn (Palme d'Or à Cannes pour ce rôle). Elle transforme le personnage de Cynthia, d'abord peu sympathique, alcoolique, paumée, pleurnicharde, épuisante, en un être au final adorable, avide d'amour, de reconnaissance et de partage ; quelqu'un qui n'a jamais eu la chance de son côté, un petit être fragile et ballotté, que les circonstances de la vie ont empêché de montrer qu'elle avait un coeur d'or.

Tous les autres comédiens sont également épatants : Marianne Jean-Baptiste, très juste en londonienne plus que parfaite, bien élevée, belle éducation, élégante, qui se trouve face à une réalité à mille lieues de son univers, mais ne porte aucun jugement, encaisse les réactions hostiles, en restant toujours dans l'empathie et l'acceptation totale des êtres comme ils sont ; une merveille de femme ! Dans le rôle de la seconde fille de Cynthia, Claire Rushbrook est étonnante : bourrue, agressive, vulgaire, elle s'illumine de façon stupéfiante à la fin, où l'on découvre qu'elle n'est pas si rustre qu'elle ne paraissait ; et puis le toujours parfait Timothy Spall, qui joue les gros nounours apaisants (le frère qui a "réussi"), et Phyllis Logan, son épouse, psycho-rigide, un peu snob, un peu hystérique, dont les personnages cachent une profonde blessure qu'ils n'arrivent pas à exorciser. Mais aussi, dans un petit rôle, Lee Ross, le copain de Roxanne, avec son air complètement ahuri, voire benêt, mais si content quand tout le monde est content autour de lui, et la secrétaire, Elizabeth Berrington, un peu à la masse et très drôle.

Quelle galerie éblouissante ! Une vraie histoire, des vrais personnages, j'adore ça ! Et quelle jolie idée d'avoir renversé le cliché, en mettant une femme noire issue d'un milieu bourgeois, brillante, face à une blanche misérable et complètement larguée.

Au-delà de ce récit bouleversant et de ces caractères hauts en couleurs, Mike Leigh nous fait sa petite leçon de morale, dont le monde semble avoir bien besoin de nos jours, en nous rappelant que les petits secrets enfouis, quels qu'ils soient, ne sont que poison, et que la vérité est beaucoup plus facile à vivre.

Ah que j'aime le bon cinéma !