"La gauche peut mourir."
L'expression, dans la bouche de Manuel Valls, est à peine surprenante.
Manuel Valls réactive le stress du vote utile.
Car l'affirmation, devant le conseil national du Parti socialiste samedi dernier, n'a qu'un objectif, faire peur à défaut de convaincre. Elle est factuellement juste. Manuel Valls a raison. La chronique politique de ces derniers mois, sur ce blog ou ailleurs, en témoigne. Electoralement, la gauche est morte déjà deux fois, lors des scrutins municipaux puis européens où elle ne rassembla que 30% des suffrages. "Gauche année zéro", résume Cambadélis à Solferino. "La gauche n'a jamais été aussi faible dans l'histoire de la Ve République" renchérit Valls ce samedi.
"Le risque de voir Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. (...) Notre pays peut se défaire et se donner à Marine Le Pen."Certes, bien sûr, évidemment. Que dire de mieux ?
"Nous pourrions basculer (...) dans une ère dans laquelle le risque de voir Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle existe. Une ère dans laquelle un des grands partis républicains et cette fois sans que cela soit une surprise... peut être absent de ce grand rendez-vous électoral. Et si rien n'est fait, ce peut être la droite, ce peut être nous, par conséquent une ère dans laquelle la gauche peut aussi disparaître."Ce constat est fort juste, mais inutile car largement connu et partagé. Au lendemain du naufrage électoral des Européennes, Yves Barraud, sur le site ActuChômage, ne disait pas autre chose: "Pour notre part, nous estimons depuis des mois que le vote FN ne peut se résumer à cette caricature des motivations d’un électorat populaire excédé par les politiques menées par l’UMP et le PS depuis 2002 (et avant). Les deux principales formations n’ont pas tenu compte de l’avertissement sans frais adressé il y a 12 ans, quand Jean-Marie Le Pen accéda en finale des élections présidentielles."
Revenons à Manuel Valls. Que fait donc notre brillant général ?
1. Il cherche à faire peur. Il faut motiver les troupes socialistes à ne pas faire sécession. Il faut "dramatiser". Il faudrait rester solidaire. Et voter comme un seul homme les prochaines lois de l'équipe Valls.
Pourtant, le vote utile n'existe plus. L'équipe Hollande devrait en être convaincue. Le "réflexe" de solidarité est affecté, lourdement, par l'ignorance de sa gauche et le manque de résultats. La désaffection s'est vue lors des derniers scrutins, et surtout à gauche. Manuel Valls menace quand même. Le plus cocasse fut sa dénonciation de "la voie ouverte à la multiplication d'initiatives minoritaires qui feraient exploser le bloc central de la majorité". Il visait les socialistes affligés mais aussi les écologistes sortis du gouvernement. Le premier ministre plane, très haut. On cherche où il trouve encore une majorité. Samedi, les écologistes d'EELV ont d'ailleurs voté à l'unanimité contre les orientations du projet de loi de finance rectificative présenté en Conseil des ministres mercredi dernier.
Même au sein de la majorité, le vote utile s'affaisse. Car ces députés ont vu l'échec, la Berezina, municipale puis européenne. En 2017, on leur promet une boucherie. Comment être solidaire d'une action qui a le triple inconvénient de trahir le programme présidentiel de 2012 sans pour autant être efficace ? Pour le parti de l'efficacité politique, cette situation est cocasse, terrifiante.
Faute de convaincre par des actes ou des paroles, Manuel Valls en appelle donc à la solidarité institutionnelle. Que les institutions le protègent la durée d'un quinquennat, c'est bien normal. Qu'il exige que les députés élus sur le pacte de 2012 votent comme si Hollande conduisait sur la route indiquée il y a deux ans et quelques mois est simplement ridicule.
2. Manuel Valls est persuadé que son action portera ses fruits. Que le Pacte de responsabilité improvisé en janvier dernier est la bonne réponse à la désespérance sociale ou à la désaffection des sympathisants. A-t-il compris que le simple port d'un teeshirt de campagne "François Hollande 2012" suffit à manquer de se faire lyncher dans quelques coins ouvriers ? L'équipe Valls a été nommée après les élections municipales, mais avant les élections européennes. Le Pacte de responsabilité a été annoncé, promis, présenté dans ses grandes lignes dès janvier par François Hollande. Les électeurs ont voté, ou se sont abstenus en toute connaissance de cause.
Il n'a que cet argument, TINA. Pas le choix, aucune autre solution, rien.
TINA, There Is No Alternative. Politiquement, il n'y a plus d'autre alternative que la droite. Front national et UMP recueillent aujourd'hui la majorité des suffrages quand ils s'expriment. On serait obligé de rendre 41 milliards d'euros de cotisations sociales, dont 90% pour améliorer la compétitivité des entreprises. On serait obligé de reporter, encore, la transition écologique.
3. Pour assoir son propos, Manuel Valls complète: "la gauche doit être capable de se dépasser."
Dépasser la gauche ?
Il persiste. Il insiste.
D'habituels critiques diront que Valls a largement dépassé la gauche. Que cette équipe est si loin au centre qu'on appelle cela la droite. A force de trianguler l'adversaire en lui chipant idées et décisions, on finirait par tomber corps et âmes dans son camp.
La gauche se dépasse-t-elle quand un premier ministre qui s'en réclame reprend exactement les mêmes menaces absurdes de déchéance de nationalité contre des terroristes d'origine étrangère que celles proférées par Nicolas Sarkozy en 2010 ? Retenez la formule: "Nous pouvons déchoir de la nationalité ceux qui s’attaquent aux intérêts fondamentaux de notre pays". La gauche se dépasse-t-elle quand elle n'a rien à dire autre qu'une bouillie inefficace sur la compétitivité ?
La gauche se dépasse-t-elle quand elle ressemble à la droite ?
Manuel Valls est en fait dépassé.
Il ne comprend plus où il est. Il ne saisit plus à qui il s'adresse. La machine toute entière est bloquée à force de rouille.
Valls: "la gauche peut disparaître" - 14/06 par BFMTV