Par Thierry Brun

Un mouvement social d’ampleur a lieu au sein de La Poste, avec notamment des facteurs en grève depuis plusieurs mois. Que se passe-t-il ?Nicolas Galépides : Après la présentation fin 2013 d’un plan stratégique pour faire face à la chute annoncée de l’activité courrier, un vaste mouvement de réorganisation a été lancé par La Poste. Il enchaîne sur dix années de restructurations lourdes, dont la création de la Banque Postale et la métierisation accrue, avec des pertes considérables de synergie synonymes d’efficacité au sein de l’entreprise. Surfant sur une relative insécurité économique, cette conduite du changement permanent déstabilise les organisations du travail. Elle a des effets sur la santé des personnels et évidemment sur la qualité du service public rendu aux usagers.C’est la raison pour laquelle les personnels, au premier rang desquels les facteurs et factrices, sont en grève. Ce sont eux qui prennent des coups sur la tête parce que c’est le secteur où il y a le plus de force de travail dans un service public proche des usagers. Sur les 85 000 emplois supprimés depuis 2003, 30 000 concernent le métier du courrier. Il reste aujourd’hui moins de 240 000 agents dans La Poste.Les jours de la distribution du courrier sont-ils comptés ?Cela fait dix ans que le métier de facteur est bouleversé, notamment avec le plan « Cap qualité courrier » lancé pour contrecarrer la concurrence dans le secteur postal. Cette concurrence n’est jamais arrivée, comme notre syndicat l’avait prévu. Il est difficile de s’implanter dans un pays où il y a un salaire minimum et où l’opérateur public paye déjà chichement ses employés… Le plan vise en fait à fermer les deux tiers des centres de tri de France et à supprimer un maximum d’emploi en ne remplaçant pas les départs « naturels ». Aujourd’hui, les infrastructures restantes ferment les unes après les autres. Sur les 43 centres restants 13 sont condamnés par la direction de La Poste, le dernier à fermer ses portes est à Créteil (Val-de-Marne), dont le trafic doit partir à Wissous dans l’Essonne.Après le flop de l’arrivée de la concurrence on nous a fait le coup de la baisse des volumes de courrier, en indexant, voir en surenchérissant les suppressions d’emplois sur les évolutions du trafic. Sans tenir compte de la crise économique qui a un caractère conjoncturel, et sans tenir compte de la croissance des constructions individuelles. Les chiffres de l’Insee indiquent que nous avons une augmentation des résidences principales et secondaires de + 6,4% de 2006 à 2012. Il y a moins de courrier mais cependant plus d’adresses individuelles à desservir, un élément dont les dirigeants de La Poste ne tiennent aucun compte.La net-économie a aussi un effet considérable sur les volumes de colis, un boulevard pour la première entreprise de proximité de France, celle qui détient encore le quasi monopole du dernier kilomètre et qui enfin est un tiers de confiance reconnu. Pour SUD-PTT, il ne s’agit donc pas de gérer l’avenir du courrier comme un liquidateur judiciaire.La Poste est parfaitement capable de jouer dans la cour d’opérateurs comme Amazon. On a non seulement les entrepôts, mais en plus une banque et le dernier kilomètre. Il y a donc de l’activité en fort développement, mais la direction choisit systématiquement le modèle de la sous-traitance. Par exemple, Chronopost qui est l’opérateur de la distribution des colis en j+1 (express), c’est 98 % des prestations qui sont externalisées. Pour 60 millions de colis par an, c’est 3 500 équivalents temps pleins à l’année. Rien n’empêche par ailleurs d’intégrer la livraison à J+1 des colis dans le catalogue du service universel (les prestations relevant du service public), même pas les directives postales européennes. Il suffit d’un ajout dans le code des postes et télécommunications.Les restructurations dans le secteur du courrier concernent-elles aussi les filiales du groupe ?Le métier du courrier était construit sur un modèle à deux niveaux, les activités de service public à la maison mère et toutes les autres activités sous la coupe d’une holding du nom de Sofipost. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sofipost disparaît et ses filiales la remplacent, notamment Mediapost (services porte-à-porte de distribution de la publicité non adressée), Docapost (dématérialisation et rematérialisation du courrier, prestations d’accueil courrier en entreprise), Extelia (dématérialisation, vote électronique), etc.Il y a plus d’une centaine de filiales concernées, dans un fouillis assez difficile à décrire. Une nouvelle structure verra une partie des services rejoindre la « direction du numérique » et l’autre partie intégrer directement la « direction du courrier ». Cela veut dire que se côtoieraient des postiers avec différents statuts pour faire le même boulot. Ce montage est dans tous les cas néfaste pour les personnels puisque la direction de La Poste cherche systématiquement le moins disant social. Cette démarche est facilitée par son statut à cheval entre droit de la fonction publique et droit du travail sur lequel surfent en permanence des patrons qui ne raisonnent qu’en terme de « business unit ».Pour SUD-PTT, il n’est pas possible d’accompagner ces restructurations, car preuve est faite de leur inefficacité économique et sociale et de leur impact en terme de santé au travail. Mais il semble bien que pour la direction de La Poste, la messe soit dite sur le secteur du courrier, en décidant de le gérer comme une activité en voie d’extinction. Ainsi, les prévisions de la direction du courrier indiquent le passage de 18 à 9 milliards d’objets traités entre 2008 et 2018. C’est un sujet très sensible. Cela explique le fait que nous avons beaucoup de mal à négocier, que la répression syndicale ainsi que les violences sociales soient très fortes.


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