Luke Rhinehart est psychiatre. Marié, deux enfants, la trentaine, résidant à New York, plutôt bien estimé de ses collègues et aimé de sa famille, même s’il n’est pas un père modèle, un concours de circonstances va l’amener à radicaliser son mode de vie. Un beau jour, il décide que désormais ses actes et donc son existence, seront dictés par les dés. La vie est souvent ennuyeuse parce que l’Homme n’est pas libre. Tous nos faits et gestes, nos actes, sont induits par le poids de notre culture, de notre environnement et des convenances, rien n’est donc réellement librement choisi. Pour être totalement libre, il ne faut plus choisir, il faut laisser le hasard décider pour nous. A partir de ce théorème de base, Luke va jouer sa vie aux dés : à chaque fois qu’il devra décider d’une action à entreprendre, il imaginera une possibilité différente par face du dé et c’est celle qui l’emportera après lancer, qu’il appliquera obligatoirement.
Aussi étrange que cela paraisse quand on a lu le livre, il s’agit d’un roman semi-autobiographique l’écrivain ayant testé cette manière de vivre ! Et c’est ainsi que débute le roman, Luke Rhinehart, le narrateur, rédigeant son autobiographie. Le bouquin est très drôle et nous ramène dans cette Amérique des années de la contre-culture, les mouvements hippies, les Black Panthers, l’apologie de la liberté totale. Et c’est bien de cela dont il est question dans cet ouvrage, comment parvenir à la liberté individuelle absolue, comment nous libérer des carcans de l’Establishment ou de la Machine (vous vous souvenez de ces termes, qu’on employait alors ?), comment nous affranchir des convenances sociales castratrices, comment parvenir à la libération sexuelle. Et du sexe, il y en a ! Débridé, 1969 année érotique, le chapitre 28 m’a rappelé - très vieux souvenir - le Candy de Terry Southern et Mason Hoffenberg. Pour les références je citerai aussi le Vol au-dessus d’un nid de coucous de Ken Kesey quand une bande de malades s’évaderont d’un hôpital psychiatrique.
Tout est complètement loufoque ici, car si le postulat de base pris avec modération est une option intellectuellement intéressante, réponse inadaptée à une question compréhensible, la démesure la rend carrément subversive puisqu’elle s’attaque aux piliers de notre société. L’auteur ne se privant pas d’en rajouter dans la surenchère et les plus de cinq cents pages du bouquin en témoignent. Le sexe donc, l’humour « avec toute la discipline universitaire et l’érudition approfondie qui fait le renom des gens de Harvard, Fred avait fait son chemin dans la culotte non négligeable de Mlle Welsh ; peu lui importait, apparemment, que d’autres chercheurs eussent déjà exploité ce sujet. »
J’ai souvent ri à la lecture de ce roman et j’ai adoré me replonger dans cette époque où la recherche de la liberté flirtait avec la permissivité (popularisée en France avec le magazine Actuel). Pas très éloigné d’un Tom Robbins pour la dinguerie, c’est bien écrit, d’une encre très certainement séchée d’un morceau de buvard…
« - Oh, nous avons été stupides ! Stupides ! (J’abattis mon poing sur la table.) Ca fait un million d’années qu’on croit qu’il n’y a le choix qu’entre l’autorité et la discipline d’une part, et le laisser-aller d’autre part ; on ne s’est pas rendu compte que ce sont deux méthodes également destinées à renforcer la solidité des habitudes, des attitudes et de la personnalité. Cette foutue personnalité ! (Je grinçai des dents et j’eus un frisson nerveux.) Ce qu’il nous faut, c’est une anarchie disciplinée, un laisser-aller maîtrisé, la reine d’un jour, la roulette russe, le veto… un mode de vie neuf, un monde neuf, une communauté d’hommes-dé. »
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par James du Mourier