Ces deux là, tout les sépare, en apparence. Hal Jordan est respectueux de la loi, conservateur, et doté d'un anneau de pouvoir, il sillonne le cosmos contre des menaces extra terrestres. Oliver Queen est une grande gueule sympathique, anarchiste, qui ne compte que sur ses muscles et son habileté d'archer, pour vivre des aventures urbaines. Mais les deux compères sont de très bon amis, presque inséparables, même si les divergences d'opinions, souvent politiques ou de société, les amènent à échanger quelques coups bien placés, genre direct à la mâchoire. Hal passe son temps à sauver des races aliens, à la peau verte, bleue, violette, mais finalement, que sait-il de la misère et du racisme qui sévit chez nous (nous sommes au début des années 70 et l'Amérique essuie les plâtres des traumatismes des assassinats de Jfk et Luther King), notamment dans les communautés noires et indiennes? Notre Green Lantern va peu à peu prendre connaissance d'une situation intenable; que la loi n'est pas toujours respectable et à respecter, et qu'elle peut être un paravent utilisé par les plus forts pour brimer et briser les plus faibles. Promoteurs véreux, prédicateur fou qui hypnotise ses victime (dont la belle Black Canary), toute la galerie des vilains cupides y passe, pour un portrait effrayant et saisissant de ce que l'Amérique cache dans ses plus sombres recoins. Green Arrow est là pour éveiller la conscience de son jeune ami, et un des Gardiens de Oa, Ganthet, les accompagnent dans ce qui ressemble à un road-movie en comic-book, à travers les plaies purulentes et les souffrances muettes d'une nation qui se cherche et ne se trouve plus. Denny O'Neil trouve le plus souvent le ton juste et les mots qu'il faut, pour saisir sur le vif l'aube de ces années 70, où la noirceur et la violence semblent se cacher derrière chaque petit village traversé en camionnette.
Mais le plus effarant est à venir. Nous découvrons dans deux épisodes devenus mythiques que Speedy, le side-kick adolescent de Green Arrow, est devenu accroc à l'héroïne. De la drogue dans les comic-books, de manière explicite. Même le maire de New York à l'époque, John Lindsay, se fendit d'une lettre pour remercier les auteurs d'avoir abordé le sujet, de cette manière. C'est un échec douloureux pour Oliver car c'est son absence et son aveuglément qui ont amené le jeune homme à entreprendre cette pente descendante, qui le conduit au bord de la perdition. Malgré un succès artistique évident (cet album est vraiment excellent, au cas où vous ne l'auriez pas encore compris), les ventes de la série commencent à battre de l'aile, et le duo finira ses aventures particulières en appendice à Flash, après un run de quatorze rendez-vous sous le titre légendaire de Green Lantern and Green Arrow. D'autant plus consternant que les dessins de Neal Adams sont délicieux, emprunts de classicisme, et tout en même temps capables d'insuffler vie et mouvement par la grâce de trouvailles dynamiques remarquables. Urban Comics a l'excellente idée de proposer ce pan indispensable de la production des années 70, qui s'il a parfois mal vieilli quand il s'agit de rendre compte de certains sentiments, de certaines réactions (Oliver et Hal ressemblent un peu à des caricatures dans plusieurs de leurs sautes d'humeur), reste un exemple magistral de comment un vecteur trop longtemps snobé par une intelligentsia à la vue courte, peut en fait contenir un message et une fraîcheur narrative et thématique de première ordre. Un calque pertinent et intelligent d'une époque agitée et cahotique. Ne vous posez pas la question un seul instant et courez vous procurez ce pavé qui vous tend les bras.
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