Si les parallèles entre œuvres musicales et septième art foisonnent, l’un de servant de l’autre comme bande originale, l’autre dépeignant l’instant d’écoute comme une invitation à la projection cinématique, peu sont ceux dressant un pont entre les premières citées et l’histoire littéraire. Inconsciemment, et sans mettre le doigt instantanément dessus, Nocturnes de Driftmachine – réunion d’Andreas Gerth de Tied & Tickled Trio et Florian Zimmer de Saroos (lire), mais aussi Lali Puna, Contriva et ISO68 – a ré-ouvert sous mes yeux quelques réminiscences d’une auteure trop souvent oubliée du Nouveau Roman, Nathalie Sarraute. La raison ? Sans doute cette commune peinture de l’invisible intimité, cette propension a décrire parcellairement les méandres la psychée humaine écrasant toute sa complexité et sa variété sous les affres de la banalité et des conventions, cette façon d’imager ces « petits lacs intérieurs » (Le Planétarium, 1959) transcrit par Sarraute par l’utilisation des points de suspension et par Driftmachine par la mise en branle d’un hypno-dub instrumental à la fois électronique et organique, englobant l’espace sonore à la manière d’un liquide amniotique. Mille disques peuvent être formatés d’une même épure, aucun ne contiendra ce clapotis introspectif, invitant sans sommation au voyage à travers nos paniques souterraines : la basse crée un mouvement lancinant que l’habillage finement texturé par les machines rend à chaque mesure plus pressant. Nocturnes est une objectivation calme et obsédante de nos vies hyper-urbaines, dissimulant sous les oripeaux de l’habitude les vils serpents de mer de l’angoisse. La contemplation de cet empire immergé prend un tour divin avec la pièce en deux actes To Nowhere, où la respiration des instruments dilate la temporalité et décuple le plongeon, s’affirmant magnanimement sur Drift et sa flegmatique envolée mais aussi avec l’orchestration monumentale et millimétrée du Réveil Des Oiseaux. Inutile de dire que ce disque ne se partage pas, Nocturnes est un fruit défendu, un plaisir solitaire faisant honneur à sa nomination et rendant grâce à la divagation noctambule. Un honneur donc de le révéler en intégralité ci-après, devançant sa sortie officielle prévue le 20 juin sur le label mexicain Umor Rex. Ultime originalité.