Vievinum 2014 (2)

Par Mauss

Bien que ce salon n'ouvre officiellement ses portes que demain samedi et pour 3 jours, on profite de cette journée vendredi 13 pour quelques promenades dans cette ville si européenne qu'est Vienne.

On ne m'en voudra pas d'évoquer dans ce billet d'autres choses que le vin.

UNE RENCONTRE ORDINAIRE

Vienne, c'est un peu comme New-York : on marche beaucoup et en sus, les zones piétonnes  à l'intérieur du Ring permettent un vagabondage insouciant.

Après un premier tour dans la Hofburg pour voir la préparation du salon qui ouvre officiellement ce samedi, histoire de constater à quel point les stands vont avoir besoin de leur propre armoire frigorifique, petit passage au manège voisin où les lipizzans s'entraînent pour les shows du week-end. On ne peut pas ne pas être fasciné par cette symbiose unique entre cheval et homme. Impressionnant de voir à quel point il suffit de gestes minima de la part du cavalier pour obtenir de sa monture un rythme, une figure différente. Puis, histoire d'entendre le bruit sympathique des calèches sur le pavé viennois, on s'assoit sur un banc de premier repos face à la grande porte de la Hofburg.

Là, un homme âgé, après quelques minutes de regards furtifs et interrogateurs, me dit que j'ai une tête à comprendre l'anglais : j'acquiesce.

 

On entame une discussion classique du style, d'où venez vous, quel pays, que faites vous dans la vie, bref, les choses habituelles qu'on peut dire et demander à un inconnu comme nous l'ont appris nos parents.

Son nom : Robert Reizfeld. Bientôt 90 ans, l'âge actuel de son frère qui lui, habite Vienne et auquel il rend visite chaque année....

Sa mémoire est assez impressionnante. Né en Autriche, un père fourreur, sa famille a fait partie des rares familles juives qui ont décidé et pu quitter l'Autriche en 1938, fondamentalement parce qu'ils avaient suffisamment d'argent pour obtenir les papiers qu'il fallait. Il me confirme bien que beaucoup d'autres familles auraient bien voulu partir mais sans fonds, cela leur était impossible.

D'abord un bref séjour en Belgique où quelque autorité locale emmène son père à la frontière allemande, poings liés, en pur chantage financier : il a fallu encore payer.

Puis l'exode en Uruguay avant de pouvoir bénéficier de visas pour les USA où son père a ouvert un négoce de fourreur à Manhattan avec un succès pendant quelques décennies, chacun sachant que c'est maintenant une mode passée de mode.

Notre discussion a duré 90 minutes et ce fut un moment unique d'écouter cet homme raconter sa vie.

Exemple : son père était « copain-copain » avec la police autrichienne laquelle, au début de 1938 n'était pas encore sous les ordres des entités nazis. Une nuit, ces amis policiers viennent prévenir la famille de quitter le pays tout de suite, craignant ne plus pouvoir faire quoique ce soit pour eux devant le déferlement germain.

Il me raconte à quel point les USA n'étaient pas totalement sympathiques vis à vis de la communauté juive, avec l'exemple d'un membre de sa famille, Abraham A. Brill, qui s'était vu refuser dans un premier temps l'entrée à l'école de médecine de Columbia University du fait de ses origines alors qu'il avait étudié à Vienne avec Freud. Ce Monsieur Brill fut quand même une pointure de la psychiatrie. Mais là, c'était au début du XXème siècle. ICI

 

Merci Wikipedia

Il a connu Estée Lauder (le nom original est Josephine Esther Mentzer) qui a réussi à convaincre Sachs - après un "non" catégorique -  de lui céder une place à l'intérieur de leur magasin de New-York en offrant gratuitement ses propres produits devant leur porte.

Ces mémoires de personnes qui ont passé au travers de ces années noires sont en train de disparaître. Certes, il y a des milliers de livres où sont décrits ces chemins entre l'Europe et le reste du monde dans les années 30 et 40, mais entendre un témoignage direct, ici, à Vienne, d'un juif qui, pas loin de ses 90 ans, a vécu ces périodes démentes, alors même que passait devant nous une foule de touristes, totalement voilés ou en mini-short avec nombril à l'air, ça vous laisse un sentiment étrange sur l'humanité.

Bon : on va vite revenir au sujet du jour en dégustant un beau Grünerveltliner chez Ohm, à la Peterplatz. Juste des sashimi et un crabe frit. Et avant un concert d'orgue à 15H00 dans l'église de la place, un baroque foufou dominé par un dôme quasi florentin.

Et au moment où j'écris ces lignes sur ce banc qui m'accueille depuis deux heures maintenant, une jeune personne, toute "gaite" comme on les aime, vient me saluer par mon nom !!

Recommandée par Eric Beaumard, elle avait participé à une session du GJE. Elle gère la partie « vins » d'un restaurant à NYC qui marche très bien : le ROUGE TOMATE, 10 East 60 St.

Pascaline Lepeltier est en sus une lectrice assidue de ce blog ! Décidemment, voilà un vendredi 13 qui prend une tournure singulière.