L'ex-agent secret et le silence assourdissant de de ses jours

Publié le 13 juin 2014 par Paulo Lobo
Un peu, beaucoup, énormément, il ne savait pas où mettre le curseur. Il déambulait dans le boulevard, seul et taciturne, observant l'incessant va-et-vient de la foule pas vraiment déchaînée, les visages, les silhouettes, les façons de marcher, de parler, de se presser ou de flâner. Devant les kiosques, il s'arrêtait pour lire les titres des journaux. Devant le cinéma, il s'arrêtait pour voir les affiches des films au programme. Devant les brasseries, il s'arrêtait pour détailler les propositions de la carte.Il n'était plus agent secret. Il avait remis son badge. Le destin, la fatigue, la perte de repères. Une vie redevenue banale. Que restait-il de ses amours, de ses années de plomb ? Son réseau d'amis, éminnement professionnel et éparpillé dans le monde, s'était volatilisé. Il n'avait pas de famille, pas d'amis, il devait tout apprendre. Comment sourire, comment saluer, comment acheter... Mais il se révélait gauche et maladroit. Une timidité maladive qui remontait à sa petite enfance.Les rues étaient son baume de réconfort, il s'y perdait, s'y calfeutrait, s'y fondait tel un passant nonchalant, il était sensible aux pulsations, aux bruits, aux senteurs.Il trouvait de l'intérêt dans les mille petites choses qui se déroulaient sur les trottoirs, qui existaient indépendamment de sa volonté, mille petits ruisseaux qui se déversaient dans la grande rivière vrombissante. Il se disait parfois "je suis moi aussi un petit ruisseau", et il se rappelait Rousseau, il se rappelait ses lectures adolescentes, quand il n'était pas encore, mais devenait.Sa vie, son oeuvre, il avait connu les excitations propres aux missions alambiquées et sulfureuses. Il avait joué ses rôles, il y avait pris du plaisir. Il n'y avait pas eu mort d'homme, à peine quelques égratignures, les missions impossibles s'étaient suivies et jamais ne s'étaient ressemblées.Clap de fin. Par un malencontreux concours de circonstances - et une drôle de femme fatale -, sa vie n'était plus un roman.