Il est assis à côté d'elle. Il dort. Elle a le regard dur, absent, les traits tirés. Tout en tatouages et en bagues rutilantes, elle croise les jambes. Son pied bat nerveusement la mesure d'un rythme intérieur saccadé.
Soudain, il s'éveille. Son visage à elle, qui jusque là était figé, s'anime en même temps qu'il ouvre les yeux. Elle lui offre le plus beau des sourires. Il se lève. On a l'impression qu'elle le regarde pour la première fois, qu'elle voit un ange à travers lui. Elle suit chacun de ses gestes comme un événement rare et précieux. Il trébuche. Elle accourt, le prend dans ses bras, l'embrasse sur la bouche et lui donne des mon chéri, mon coeur. Il rit. Elle rit aussi. Il s'échappe. Elle lui dit revient, je veux te voir, reviens ici. Il rit de plus belle. Elle part le chercher, le tire par la manche. Il revient et repart. Elle dit tu es une canaille, un vilain garçon. Il s'esclaffe. Elle exulte. Toute la salle d'attente les regarde, entre l'agacement et l'émerveillement. Ils forment un couple parfait. C'est une fusion. C'est tellement touchant que ça en devient douloureux. Ils semblent si forts et si fragiles en même temps. Elle, si mince, si douce ; lui, tenant à peine sur ses deux jambes. Isaïe, elle l'appelle, reste parmi nous, reste ici. Il s'éloigne dans le couloir et elle le poursuit et le jeu continue ainsi encore plusieurs minutes. Maintenant, toute l'attention est fixée sur eux. Ils accrochent des sourires sur les visages des autres patients, allument des étoiles dans leurs yeux inquiets. Il n'y a plus qu'eux. Plus rien d'autre n'existe que leur petite planète.
Quand je ressors du bureau du médecin, ils ont disparu.
J'imagine ses bras bruns et frêles de madone installant amoureusement Isaïe dans sa poussette.