Dès le début du film, Yinan Diao instaure une ambiance particulière et pose les données de son équation : crime atroce, classes sociales laborieuses, amour et haine, êtres humains à bout de souffle, entraînés malgré eux dans une spirale de violence,…
On suit le parcours d’un cadavre dans un tas de charbon. Ou plutôt non, de morceaux d’un cadavre dans des tas de charbon différents, du camion jusqu’à la chaîne de tri. On voit également un couple faire l’amour, puis on assiste à leur séparation, sur le quai d’une gare. L’homme s’accroche, ne veut pas laisser partir la femme. Elle le repousse violemment. On comprend qu’ils ont fait l’amour une dernière fois, avant de divorcer et se quitter à jamais.
L’homme en question, Zhang, est un flic et enquête sur le meurtre dont on a vu les effets, éparpillés façon puzzle.
On s’attend alors à ce que la recherche du coupable nous occupe tout au long du film. Mais on n’est pas ici dans un polar classique. L’affaire est rapidement classée. Le policier trouve assez rapidement une piste à explorer et des coupables tout désignés. Hélas, l’interpellation des suspects tourne au fiasco et se termine par un bain de sang…
Le film ne démarre vraiment que cinq ans après. Zhang ne s’est pas remis de ce drame. Il a quitté la police et sombré dans l’alcoolisme.
Mais la découverte de deux nouveaux cadavres, liés à la femme de la victime de son ancienne enquête, vont le pousser à reprendre les investigations, à titre personnel… Il est persuadé de ne pas avoir élucidé l’affaire et veut en savoir un peu plus sur cette femme mystérieuse, autour de laquelle les hommes tombent comme des mouches…
Black coal appartient sans conteste au genre “noir”. Il en respecte les codes, du crime sordide à la femme fatale, et l’esthétique, toute en ambiances nocturnes inquiétantes et images poisseuses.Et, comme de bien entendu, il s’appuie sur des personnages forts et complexes. Ce sont des perdants magnifiques, des âmes grises rongés par leurs erreurs passées, des fantômes qui errent dans les rues gelées de la ville en quête de rédemption.
Fan Liao, Lun-mei Gwei, Xue-bing Wang et tous les autres acteurs leur donnent corps avec talent, superbement dirigés par Yinan Diao et mis en lumière par Dong Jinsong, le chef opérateur de 11 fleurs et People mountain, people sea.
Mais la grande force de Black coal est de parvenir à entremêler habilement à sa trame de polar une critique féroce de la société chinoise, viciée à la fois par les restes du système communiste et les travers du système libéral naissant et une histoire d’amour émouvante, qui parvient à germer dans la détresse et la solitude. Le cinéaste procède évidemment par petites touches, pour contourner la censure, toujours très active en Chine. Et il demande au spectateur un petit effort non seulement pour assembler les pièces du puzzle en sa possession, mais pour imaginer également les pièces manquantes, lire dans la marge les véritables intentions de l’auteur…
On est à la fois dans le film de genre et l’oeuvre art & essai pure et dure, capable de satisfaire aussi bien les cinéphiles exigeants et les amateurs d’intrigues policière. Mais, avouons-le, il pourrait aussi décevoir les deux catégories. Il a d’ailleurs beaucoup divisé dans les festivals où il a été présenté. Au Festival du Film Policier de Beaune, l’accueil public a été glacial, mais le film a séduit le jury de la critique internationale, qui l’a défendu contre vents et marées. A Berlin, il a obtenu la récompense suprême, l’Ours d’Or, mais a reçu un accueil là encore très mitigé.
Cela est assez logique. Pour apprécier les subtilités de cette oeuvre forte, il faut faire preuve de beaucoup de patience. Le rythme est très lent et lancinant, dans la lignée des films d’auteur chinois plutôt que dans celle, plus remuante, des polars hongkongais. Mais il fallait bien cela pour prendre le temps de développer les personnages, d’étaler leur complexité et de ciseler des situations savoureuses, multipliant les coups de théâtre jusqu’à un joli final en feu d’artifice, plein de poésie et de subversion.
Ceux qui avaient apprécié Uniform et Night train, les précédents films du cinéaste, ne seront pas dépaysés. Les autres découvriront un véritable auteur, maîtrisant autant son sujet que ses mouvements de caméra (les plans-séquences, nombreux, sont des modèles du genre…).
On vous conseille, en tout cas, de découvrir cette oeuvre subtile, véritable éloge de la pièce manquante et constat implacable de la mutation de la société chinoise de ces dernières années.
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Bai Ri Yan Huo
Réalisateur : Yinan Diao
Avec : Fan Liao, Lun-mei Gwei, Xue-bing Wang, Jing-chun Wang, Ailei Yu
Origine : Chine
Genre : puzzle noir, critique sociale et histoire d’amour Durée : 1h46
Date de sortie France : 11/06/2014
Note pour ce film :●●●●●●
Contrepoint critique : Sur la Route du Cinéma
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