Exercice difficile mais réussi - disons le tout de suite - auquel s'est attelé le politologue Pierre-André Taguieff en entreprenant d'analyser le discours des antilepénistes et ses conséquences en politique à travers son dernier opus: "Du diable en politique, Réflexions sur l'antilepénisme ordinaire". Taguieff confirme ce que tout le monde dorénavant sait, "la propagande antilepéniste a joué le rôle d'un puissant facteur de la montée du FN". Le savoir est une chose, l'expliquer voire le prouver s'il en était besoin, une autre. C'est l'intérêt de la somme de plus de 400 pages aux centaines de références qu'offre au lecteur, l'auteur.
Ce n'est pourtant pas une découverte, déjà dans les années 80, on en parlait autour des tables des déjeuners dominicaux. Le PS était à l'initiative de la résurrection de l'extrême droite. Je me souviens combien cela choquaient ceux qui étaient déjà tentés par les arguments du parti de Jean-Marie Le Pen sans vraiment oser l'avouer mais qui surtout n'appréciaient guère l'idée qu'ils étaient manipulés par le PS, car c'est ainsi qu'ils l'interprétaient. Et pourtant... cela fait des décennies que cela dure, mais les médias parisiens ainsi que les scientifiques ont mis un certain temps à théoriser cette réalité. Encore une fois, la fracture entre la Province et Paris est prégnante.
Très rapidement après la victoire de la gauche aux élections de 1981, François Mitterrand confronté à la réalité politicienne et quotidienne dut vite trouver un nouvel ennemi (l'extrême droite) pour combattre l'ancien (la droite classique), pour contrer ceux qui dans l'opposition menaçaient régulièrement le président socialiste. Génial manipulateur qui sut sortir de sa boîte, le diable toujours en faction et prêt à bondir. La droite classique s'y perdit. Se divisant toujours entre les deux bords, le centre ou le conservatisme à tout crin, du parti. La stratégie mise en place il y a trente ans fonctionne toujours.
L'autre point important du livre est la mise en lumière de l'inefficacité du discours médiatique dans la dénonciation de l'extrême droite et de ses leaders. Trente ans que les théories du FN sont dénoncées sans succès puisque bien au contraire le parti de la famille Le Pen, tous deux députés européens ne s'est jamais aussi bien porté. Non seulement, ce discours n'a pas décrédibilisé la rhétorique d'extrême droite mais au contraire, et il était temps de le dénoncer, elle a fait les choux gras d'une certaine gauche qui s'y est installée confortablement et qui semble avoir un mal fou à se remettre en question. Le discours est rodé, le vocabulaire comme le démontre Taguieff est trop régulièrement le même - alors pourquoi changer un discours... qui ne fonctionne pas?
Le livre de Taguieff est une véritable recherche scientifique. Présenté comme un homme de gauche, spécialisé sur le racisme et l'antisémitisme, celui-ci offre au lecteur un discours sans parti pris, riche en référence de toutes sortes et surtout sans concessions pour les propos de ceux que nous pourrions croire ses amis et qui le sont peut-être. Il faut sans doute un certain courage intellectuel et une véritable honnêteté pour présenter une telle recherche. Il faut surtout un véritable intérêt pour la politique française et son avenir, car à n'en pas douter, cet ouvrage est une main tendue à nos politiciens qui seraient bien vus de le lire et de comprendre qu'il est temps d'offrir aux citoyens et électeurs une autre politique.
Le rôle des médias est fondamental, à travers la prose des éditorialistes et des journalistes mis eux aussi en cause dans ce livre.