Magazine Politique

Dieu chez les hommes de bonne volonté : si vous en êtes, signez !

Publié le 10 juin 2014 par Gonzo

KaramSaber1

Inutile de le cacher, ce n’est pas très facile en ce moment de parler avec beaucoup d’optimisme de la création dans le monde arabe… Lassitude personnelle après plusieurs années de cet exercice sans doute, mais plus encore effarement devant la situation de cette région. Les « jihadistes » comme disent les agences de presse (les fous furieux de l’EIIL pour être plus direct) qui se baladent en Irak, la Libye aussi, la Syrie bien entendu, et la liste est loin d’être close… La situation ne va pas être facile, au moins dans un avenir immédiat, pour tous les Arabes qui ont envie d’autre chose. Raison de plus pour ne pas totalement laisser tomber ceux qui se battent pour des idéaux qu’on peut partager : ils vont avoir besoin de soutiens, chez eux, chez nous (nous qui avons, via nos gouvernements respectifs, largement contribué à créer à envenimer les choses : merci BHL pour les Libyens pour s’en tenir à ce seul exemple…)

Le cas d’un écrivain égyptien, Karam Saber (كرم صابر), vient ajouter un épisode à la très longue histoire des écrivains menacés par la « justice » de leur pays à cause de leurs écrits. Vraiment très longue puisque la première affaire de ce genre remonte apparemment à l’année 1910, quand un poète nationaliste du nom d’Ali Al-Ghayati publia un recueil qui s’en prenait violemment aux autorités de l’époque, à savoir les derniers descendants de Muhammad Ali « protégés » par la Couronne britannique. L’auteur, et ses deux préfaciers, furent condamnés à l’époque à des peines allant d’un an à trois mois de prison…

On ne compte plus les affaires du même type qui ont émaillé toute l’histoire littéraire du siècle dernier, y compris à partir du moment où l’Egypte est devenu une république. On constate une évolution notable cependant : la censure « classiquement » politique a été progressivement remplacée, surtout à partir de l’époque de Sadate, par des interdictions de plus en plus réclamées au motif de la religion. Les bonnes mœurs ont ainsi pu servir de motif commode à nombre de censures. Depuis une vingtaine d’années toutefois, c’est tout bonnement le délit d’attaque contre la religion qui est devenu le motif préféré des excommunicateurs officiels (au sens propre du terme puisque un auteur tel que Nasr Hamid Abû Zayd – نصر حامد ابو زيد – a pu être légalement considéré comme apostat).

Une évolution qu’une disposition particulière du code juridique égyptien a favorisée. En effet, le droit local permet à n’importe quel citoyen de porter plainte contre l’auteur d’un livre (son éditeur aussi le cas échéant, voire l’institution, y compris gouvernementale qui l’a produit) pour peu qu’il s’estime offensé par le contenu de l’ouvrage. Bien entendu, le dépôt de plainte ne suffit pas. Il y a en principe une enquête, consultation d’instances ad hoc (telles que l’Académie des recherches islamiques) et surtout un jugement, avec les possibilités d’appel prévues par la loi. Mais, comme on a pu le constater récemment avec les peines capitales prononcées à l’encontre de plusieurs centaines de citoyens égyptiens (voir le précédent billet), les tribunaux locaux, et leurs juges, ne s’embarrassent pas toujours d’arguties juridiques. On ne sait pas si les juges ont la conscience légère ou non, mais leur main est, à coup sûr, très lourde quand ils prononcent des peines !

Les révolutions passent, les chefs d’Etat aussi, mais la loi demeure. Objet d’une plainte déposée en mai 2011 (quelques mois après la chute de Moubarak) pour un recueil de nouvelles publié en 2010, Karam Saber a vu son affaire instruite quand le président Morsi était au pouvoir. Le premier jugement, prononcé en mai 2013, vient d’être confirmé par le tribunal de première instance, deux jours avant la prestation de serment du président Sissi. Cet homme qui est à la tête d’une œuvre littéraire reconnue (Saber, vous l’aurez compris, pas Sissi), est aussi un ardent défenseur des droits des paysans (voir ce site). C’est à eux, que sont dédiées les nouvelles qui valent à leur auteur d’être poursuivi en justice, parce qu’il a osé donné sa propre vision de leur vie de tous les jours, de leur manière de vivre leur foi. Karam Saber reste menacé de prison même si, entre temps, une nouvelle Constitution, votée en janvier 2014, « interdit les peines privatives de liberté pour les délits ayant trait à des productions publiques, qu’elles soient artistiques, littéraires ou relevant de l’opinion ».

Cette dernière citation est extraite d’une pétition, qui vient relayer les très nombreux soutiens, y compris d’écrivains et de critiques, qui demandent au nouveau président de la République égyptienne d’arrêter les poursuites. Il va de soi qu’il faut signer pour que l’auteur de Ayna Allah ? (Où est Dieu أبن الله), c’est le titre du recueil incriminé, ait la réponse à sa question : il est sur terre, parmi les hommes de bonne volonté !

Pour les bonnes volontés, et même si ce n’est pas grand chose, c’est ici.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines