[Critique] LÉGENDES VIVANTES
Titre original : Anchorman 2 : The Legend Continues
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Adam McKay
Distribution : Will Ferrell, Steve Carell, Paul Rudd, David Koechner, Christina Applegate, Dylan Baker, Meagan Good, Judah Nelson, James Marsden, Greg Kinnear, Kristen Wiig, Harrison Ford, Tina Fey, Vince Vaughn…
Genre : Comédie/Suite
Date de sortie : 11 juin 2014 (DTV)
Le Pitch :
Le monde de l’info à la télévision est impitoyable, y compris pour les héros comme le présentateur vedette Ron Burgundy. Désormais considéré comme un has-been par son patron, Ron est écarté de la grille des programmes et sombre dans la déchéance, abandonné de tous. Quand le dirigeant d’un nouveau network lui propose de reformer son équipe afin d’animer un journal sur la première chaîne d’information diffusée 24h/24, Ron voit une chance de renouer avec le succès et se lance à corps perdu dans cette nouvelle aventure…
La Critique :
Will Ferrell est un génie. Un type redoutablement drôle. L’un des meilleurs. En France pourtant, il ne perce pas. Pas vraiment en tout cas, toujours loin derrière les Ben Stiller et autres Jim Carrey. Non pas que le public français n’apprécie pas son humour ou son jeu. Ses fans sont nombreux et chez nous également, le comédien issu du Saturday Night Live fait l’objet d’un culte fervent. La faute en revient aux distributeurs qui boudent ses films. Certes, Moi, Député est sorti en salle, mais il semblerait que ce soit uniquement car Zack Galifianakis partageait l’affiche avec Ferrell. Quand c’est lui qui dirige, rien n’y fait : soit il est privé de salle et atterrit directement dans les bacs vidéo, soit il est cantonné à une sortie discrète, soit ses films ne sortent pas du tout (comme Everything must go). Légendes Vivantes apporte en cela une nouvelle preuve de l’embargo qui empêche vraiment le comédien de trouver son public dans l’Hexagone. La France est alors l’un des derniers pays au monde à découvrir le film. En vidéo de surcroit alors qu’initialement, Légendes Vivantes devait sortir dans les cinémas. Sans trop que l’on sache pourquoi, il est relégué au DVD et au Blu-ray. Sans trop de promo, comme un vulgaire produit basique. Une sortie qui intervient comme si cela ne suffisait pas, remarquablement tard, alors que le long-métrage a depuis belle lurette fait le tour du net via une version pirate largement partagée par des spectateurs frustrés. Il ne faudra donc pas s’étonner qu’il ne s’écoule qu’à peu d’exemplaires, amenant une confirmation biaisée (et foireuse) quant à la popularité de Will Ferrell au pays de Bourvil.
Un comble ! À plus forte raison quand on parle d’un futur classique du genre…
C’est Présentateur Vedette qui, en 2004, imposa Will Ferrell au box office et du même coup auprès du public. Avant, c’est toujours auprès d’autres acteurs peut-être plus bankable que le comédien avait fait ses armes, après avoir acquis une solide notoriété grâce à ses extraordinaires apparitions au Saturday Night Live (si on fait exception de Elfe, le conte de Noël de Jon Favreau). Avec Présentateur Vedette, Will Ferrell affirmait qu’il pouvait non seulement porter un film, mais se posait aussi comme un superbe meneur de troupe. Adam McKay, le chef d’orchestre de ce chef-d’œuvre de la gaudriole contemporaine y exploitait avec brio la verve d’un génie du rire. Le garant d’un humour proche de l’école Judd Apatow, profondément et délicieusement décalé, et souvent borderline. À l’occasion de Légendes Vivantes, la suite tant attendue des aventures de Ron Burgundy et de son équipe de présentateurs télé, Ferrell et McKay rempilent, ainsi que tous ceux qui ont contribué à faire du premier volet le monument dont les fans se délectent sans modération. Une suite remarquable qui pousse tous les compteurs dans le rouge. Aucune limite pour Ron Burgundy. Rien n’arrête la débilité de ce macho patenté et de ses amis. Légendes Vivantes monte dans les tours, sans se soucier des limitations de vitesse, et représente en cela la quintessence hardcore et absolument pas raisonnable d’un humour en forme d’arme de destruction massive.
En toute logique, un film comme Légendes Vivantes peut déconcerter et s’avérer plus qu’à son tour excluant. C’est d’ailleurs probablement pour cela que le film a été rétrogradé au rang de simple DTV au lieu de jouir d’une sortie en salle. Pas évident au pays de Christian Clavier de permettre à un type hors norme comme Will Ferrell de se tailler la part du lion. Les amateurs et autres connaisseurs bien sûr, seront en territoire conquis. Pourtant, il semblerait, si on se fie aux premiers retours, que Légendes Vivantes ait aussi réussi à diviser les fans.
La faute à une frénésie un poil foutraque qui s’exprime via des scènes surréalistes, riches en cabotinage de toutes sortes. L’affrontement entre les différentes équipes de JT, dans lequel apparait un nombre hallucinant de guest stars est peut-être le meilleur exemple. C’est lors de moments comme celui-là où les choses dérapent franchement pour tomber dans un n’importe quoi plus maîtrisé qu’il n’y paraît.
Légendes Vivantes n’hésite pas non plus à jouer la redite, c’est à dire à faire de gros clins d’œil à son prédécesseur. À chacun d’y voir une illustration de la paresse d’un scénario un peu facile, ou bien l’expression d’un humour qui joue aussi sur la répétition et les running gags, ici transmis d’un film à l’autre, sans aucun complexe. Enfin, il y a l’effet de surprise qui n’est bien sûr plus d’actualité. On connait Ron Burgundy et les nombreuses années qui se sont écoulées entre le premier volet et cette suite ont vu naitre des attentes énormes. Dans ces conditions, il était inévitable qu’une partie des fans soit déçue.
Cela dit, il y a de grandes chances que vous tombiez carrément à la renverse de bonheur devant Légendes Vivantes. Tous les potentiels points de discorde mentionnés plus haut pouvant tout à fait apparaître comme autant de qualités.
Depuis Présentateur Vedette, Will Ferrell, Steve Carell ou encore Paul Rudd, sont devenus des stars. Des acteurs dont on attend beaucoup et des acteurs qui ici, font des merveilles, en renouant avec des personnages taillés sur mesure.
Le truc de Légendes Vivantes, c’est donc d’y aller à fond. De continuer à faire marrer tout en dessinant en filigrane une réflexion pertinente sur les mœurs de l’Amérique. Légendes Vivantes prend ainsi pied dans les années 80. Les choses ont changé depuis les glorieuses 70′s et Ron ne cadre plus aussi bien avec le paysage. L’heure est au décalage. Les thèmes abordés par cette suite s’inscrivent dans la droite lignée du premier volet. Le machisme de Ron est à nouveau l’occasion pour le film de traiter de la place des femmes dans le milieu du travail, via notamment l’émancipation de ces dernières dans des emplois trustés jusqu’alors par des hommes. La réaction outrageuse de Ron et de ses amis illustrant l’opposition rétrograde qui aujourd’hui encore, perdure tragiquement aux États-Unis et ailleurs. Le racisme est aussi au cœur de la dynamique de Légendes Vivantes et là aussi, le long-métrage y va franchement, avec bonne humeur et intelligence.
Des questions sérieuses en forme de fil rouge, pour une œuvre dense, qui prête le flan à ses détracteurs avec un volontarisme jouissif, en mettant en avant un humour totalement décalé.
Sur tous les fronts, Ron Burgundy fait mouche. Will Ferrell retrouve avec un plaisir communicatif le personnage qui a fait de lui une star. Même chose pour Steve Carell, Paul Rudd et David Koechner. À eux quatre, ils personnifient cette fange de la société qui ne s’adapte pas. Que ce soit car elle ne le veut pas ou car elle le peut pas. Avec ces joyeux drilles, c’est un peu les deux à la fois. Le monde bouge et Ron Burgundy lui, stagne tragiquement.
Épaulé par la fine fleur de la comédie américaine, dont la fabuleuse Kristen Wiig, les vétérans de l’info nous offrent un numéro brillantissime. L’expression jusqu’au-boutiste du talent conjugué de Will Ferrell, de ses lieutenants et d’Adam McKay.
Ces Légendes Vivantes ne peuvent pas plaire à tout le monde. Tout le monde ne peut pas s’esclaffer devant un mec qui tente d’apprivoiser un bébé requin. C’est impossible. Là est aussi le génie d’un film comme celui-là : se moquer des conventions en vigueur (Casa de mi Padre est un autre formidable exemple). Ne pas chercher à fédérer à tout prix ou à gagner de nouveaux adeptes, pour finalement perpétrer et faire progresser un humour volontairement crétin et furieusement satirique. C’est comme ça qu’on se démarque et qu’on accouche d’un culte instantané. Avec audace et talent.
@ Gilles Rolland