Bernard Campiche vient d'éditer deux livres en un, signés Julien Burri. Il suffit de faire tourner ce bel objet de 180° dans le sens longitudinal pour passer de l'un à l'autre; de La maison, dont la couverture est illustrée d'une photo de Philippe Pache, aux Muscles, dont la couverture est illustrée d'une photo de Yann Amstutz, et vice-versa.
Dans les années 1960, Berger-Levrault avait édité une collection Pour ou contre, qui utilisait le même dispositif pour servir à de vifs débats, solidement argumentés, qui permettaient de voir les choses sous au moins deux angles différents, donnaient matière à réflexion et ouvraient l'esprit à des possibles inenvisagés...
En l'occurrence Muscles ne répond pas à La Maison. Ils n'ont qu'une opposition spatiale. Ils ont même un point commun, singulier. Le narrateur, dans l'un et l'autre livre, parle à la deuxième personne du... singulier. Ce qui rappelle ces femmes qui commençaient naguère par dire, en se parlant à elles-mêmes: Ma fille, tu devrais...
Quoi qu'il en soit, ce procédé narratif présente l'avantage, mieux qu'à la première personne, de mettre le lecteur dans la confidence et, même, de lui permettre de s'identifier au protagoniste, celui du roman Muscles ou celui des morceaux de La maison.
Le narrateur de Muscles est un bodybuilder, dont le corps rend incrédule et donne envie de toucher. Il est marié à Amélie, qui a de belles fesses, rondes, imparfaites, certes, ce qui n'empêche pas qu'elle soit très excitante... C'est lui qui décide cependant quand cela doit avoir lieu, en général le dimanche après-midi...
Il a été élevé par ses grands-parents parce qu'un jour sa mère a tiré sa révérence en restant dans le garage, porte fermée, laissant tourner le moteur... Il se souvient d'elle venant le croquer dans son lit le soir, lui préparant une tresse russe les mercredis ou entrant dans sa chambre pour l'écouter respirer, tandis qu'il faisait semblant de dormir.
C'est en rentrant d'un camp de ski où il avait peur d'aller, surtout parce que c'était la première fois qu'il quittait sa mère, qu'il a appris qu'il ne la reverrait plus. Il y avait des signes avant-coureurs. Elle ne lui rendait plus visite la nuit; elle n'écrivait plus dans son cahier de poèmes; une nuit, elle s'était sentie étouffer, s'était levée et avait déclenché l'alarme en traversant le salon...
Il a le corps trop léger - son père le trouve maigre à faire peur -, ce qui commence à devenir pesant. Alors, après s'être acheté des haltères, il commence, dans sa chambre, comme jadis son père, à faire des exercices qu'il a vus dans des magazines ou sur Internet. A seize ans, avec son ami Cody, il se rend dans un fitness, où il craint les moqueries, mais où son corps se transforme petit à petit, à la faveur d'un régime alimentaire rigoureux:
Tu étais en deux dimensions, tu entres dans la troisième. Ton corps saint, purifié par l'exercice - quelque chose se joue en toi - un destin.
Trois ans plus tard, cette transformation de son corps marque le pas. Pour augmenter sa masse musculaire, il se laisse tenter et prend du Dianabol...
Quand il fait la connaissance d'Amélie, une des premières choses qu'il lui demande est ce qu'elle pense de son physique. Plus tard, elle comprend pourquoi il l'a choisie:
Pour paraître encore plus volumineux à côté d'elle, par contraste.
Même si l'histoire ne se répète pas, elle bégaille souvent. Fût-elle personnelle... L'épilogue demeurant toutefois imprévisible...
Le narrateur de La maison s'y rend avec son compagnon, Jaël. La maison est entourée de volières. Jaël passe son temps libre à en construire un peu partout dans le pays, et à l'étranger. Sinon, il travaille à l'hôpital.
Lui, il reste à la maison, à attendre Jaël, avec le grand chien. En l'attendant, il lit et écrit, si possible dehors, c'est-à-dire si le temps le permet, devant la grange; il entend des voix dans la forêt; il aime repasser les vêtements de Jaël.
Il s'est fait tatouer ce prénom sur l'annulaire gauche:
Son écriture manuscrite, prolongement de sa main, du flux de son sang. Le trait du "l" final monte et s'efface progressivement - nuage de poussière sur une route de terre battue.
Avant lui, il y a eu Vincent dans la vie de Jaël. Ce dernier l'attend toujours, bien qu'il soit mort et que son corps ait été rendu par le glacier quatre ans après sa disparition...
Tout a une fin, y compris les amours particulières. Mais, ont-elles seulement existé? Qu'est-ce qui est vrai dans leur histoire, à lui et à Jaël?
Même si l'histoire ne se répète pas, elle bégaille souvent. Fût-elle personnelle... L'épilogue demeurant toutefois imprévisible...
Francis Richard
Muscles, 232 pages, La Maison, 128 pages, Julien Burri, Bernard Campiche Editeur