[Doctors 2.0] “Classer et noter les applications autour de la santé permettrait aux médecins de les prescrire au bon moment.”

Publié le 06 juin 2014 par Pnordey @latelier

Avocate spécialisée dans la santé électronique, Nathalie Beslay décrit les enjeux juridiques, réglementaires ou pratiques à envisager face à la dématérialisation des données et les transformations numériques dans le domaine de la santé.

Nathalie Beslay est l’une des intervenantes de l’événement Doctors 2.0 & You qui se tient à Paris depuis jeudi jusqu’à ce vendredi.

Que va apporter la dématérialisation des données médicales et quels sont les enjeux de cette mutation?

La dématéralisation favorise, dans le respect de la règlementation, l'accès et le partage et donc une meilleure connaissance des pratiques de santé et une meilleure prise en charge des patients, à terme. Il y a aussi nécessairement comme enjeu un objectif de limitation des coûts, dans le contexte impératif de limitation des dépenses de santé. L'enjeu de prévention aussi est énorme. Mieux se connaître, permet de savoir les risques auxquels on peut être confronté. L'enjeu thérapeutique consiste quant à lui à atteindre des meilleurs résultats, à optimiser le parcours de soins, à favoriser l'innovation. La question de la désertification médicale aussi peut trouver ses réponses dans les nouvelles technologies.

La communauté médicale vous semble-t-elle prête aux transformations que le numérique engendre sur le secteur de la santé ?

Ça dépend des catégories de professionnels de santé. Certains métiers sont plus prêts que d'autres à l'intégration du numérique dans leur milieu professionnel. Je pense notamment aux pharmaciens qui sont équipés en informatique depuis longtemps. Ils vont donc plus facilement intégrer la dimension numérique dans leur activité. Mais ça va aussi dépendre de leur appétence personnelle : la capacité à innover et à intégrer le numérique dans ses activités professionnelles dépend de son propre goût à utiliser les technologies. Cela ira donc croissant avec le renouvellement des générations. Chez les professionnels de santé, on sait qu'il y a des geeks, des adeptes des nouvelles technologies, mais aussi qu'il y a encore des médecins qui ne sont  pas  informatisés et auraient donc peu d'inclination à prescrire des applications mobiles. C'est en effet compliqué aujourd'hui pour les professionnels de santé non avertis de savoir quelle est la bonne application mobile, les e-services de santé, à quoi sert l'objet connecté... Ils peuvent être méfiants par rapport à l’utilisation des données personnelles de leurs patients. L'ignorance peut créer de l'anxiété. Il n'y a pas de référentiels, même si certaines sociétés commencent à évaluer et à noter les applications. Pour la communauté des professionnels de santé, toutes ces questions restent encore en partie obscures, et il est vrai qu'il convient de bien faire la différence entre les applications de type wellness et celles qui présentent une vraie utilité médicale.

Y a-t-il des moyens de former les professionnels de santé pour qu'ils se sentent moins démunis face à cette transition ?

Il pourrait déjà être bien de construire un référentiel  des applications. Il devrait ainsi présenter des garanties d'indépendance, d'objectivité avec des critères clairs et efficaces. Il y a un travail à faire pour définir des critères, classer et noter les applications afin de permettre aux médecins de les prescrire pour le bon patient au bon moment. Il faut qu'on se mette dans une logique pragmatique, les outils devront être facilement compréhensibles pour les médecins. Par exemple, face à un patient diabétique, il faut alors disposer d'une liste d'applications et pouvoir lui recommander la meilleure, c'est-à-dire celle adaptée à son besoin. Mais pour le moment, on est loin du compte, même si certaines initiatives privées doivent être soulignées.

Leurs appréhensions se situent à quel niveau?

Les professionnels ont conscience des enjeux à la fois en matière de vie privée et d'impact thérapeutique. Après, je dirais que les anxiétés sont très basées sur des alibis règlementaires dans la e-santé, parce qu'on est dans un cadre légal français très contraignant. Ainsi, la réglementation actuelle et les mesures qu’elle impose rendent les risques à propos de la vie privée très faibles. Il faut plutôt voir les progrès que ça apporte en matière d'innovation, de création de valeur, la façon dont ces outils technologiques pourront aider des patients et régler des problèmes démographiques notamment…

Autrement dit, le cadre juridique actuel suffit-il pour garantir la confidentialité ?

Le cadre légal est suffisant selon moi et représente déjà beaucoup de contraintes. En revanche, sans doute n’est-il pas parfaitement adapté à l'évolution des technologies. Sur les objets connectés, on va se poser la question de savoir où sont les données, vers qui elles vont, si elles sont partagées sur des serveurs... De nouvelles problématiques sont posées. En fait, il ne faut probablement pas modifier le cadre légal mais plutôt que les autorités en charge de la régulation, en particulier la CNIL et l'ASIP santé, soient pragmatiques et agiles dans leur approche et leurs missions. La CNIL a un rôle crucial. Beaucoup d'opérateurs ont réussi à satisfaire tous les critères.

La sortie récente d'un dossier sur les objets connectés et le "quantified self" montrent bien que ces institutions sont conscientes de leur rôle pédagogique et d'interprète des règles pour accompagner les opérateurs. Elles ne doivent pas seulement être vues comme des freins ni exercer un simple rôle de police. Il faut donc surtout que l'interprétation des règles au plan opérationnel soit encore plus claire.

De nouvelles pratiques émergent et les sites internet se multiplient. Certains d’entre eux risquent-ils de disparaître?

C'est difficile à dire mais selon moi, il n'y a pas la place pour tout le monde et les acteurs sur cette scène sont très nombreux. Le risque est d’avoir trop d'applications, déjà pléthoriques. Seules quelques unes se démarqueront.

Quelle est, selon vous, la prochaine idée disruptive en matière d'e-santé ?

L'idée des cabines de télémédecine, je la trouve fabuleuse. Pouvoir être en contact avec un médecin partout dans le monde et être soigné, ou en tous cas pris en charge dans un environnement confidentiel, sécurisé et efficace est un vrai concept qui devrait se développer.