Par Bernard Marx| Jérôme Kerviel est en prison. Il a vite quitté la scène médiatique, remplacé par les menaces judiciaires record contre BNP Paribas. Il reste cependant fort instructif de savoir ce que sont devenus ceux qui étaient aux manettes des dérives du système bancaire en France...À l’heure où Jérôme Kerviel ne passera pas par la case Départ, et s’est rendu directement en prison, il n’est pas inintéressant de rechercher ce que sont devenus ceux qui étaient aux manettes du système de la spéculation bancaire en France. Système qui a fait des dégâts beaucoup plus considérables que les 5 milliards d’euros de "l’affaire Kerviel" (coût estimé par la Société générale mais n’ayant pas fait l’objet d’une expertise indépendante). On ne trouvera aucune autre condamnation individuelle, aucune véritable sanction, quelques départs négociés, des retraites "chapeautées" et actives, des recyclages rondement menées et même quelques promotions...
Affaire Kerviel-Société générale
L’affaire Kerviel, qui éclate en janvier 2008, est un révélateur des dérives de la Société générale, banque française qui, à partir des années 1990, a développé au maximum ses activités de banque de financement et d’investissement (BFI) et s’est fait une spécialité des activités à haut risque et spéculatives, notamment sur les dérivés actions, le département où travaillait Jérôme Kerviel.À part la condamnation de Jérôme Kerviel, l’affaire ne donne lieu qu’à une seule autre condamnation : la Société générale s’est vue infligée par la Commission bancaire, autorité de contrôle bancaire à l’époque des faits en juillet 2008, un blâme et une amende de 4 millions d’euros pour des
« carences graves du système de contrôle interne ». La Commission a jugé que "les défaillance relevées, en particulier les carences des contrôles hiérarchiques, se sont poursuivies pendant une longue période, à savoir l’année 2007, sans que le système de contrôle interne n’ait permis de les déceler et de les corriger".Pour autant...
Daniel Bouton, PDG depuis 1997, a démissionné en avril 2009. En 2008, en pleine tourmente la Société générale lui avait attribué, ainsi qu’à quelques dirigeants, une nouvelle distribution de stock-options. Face au tollé, il a dû y renoncer. En 2009, il part sans indemnités de départ, mais avec une retraite de 730.000 euros par an. Il crée DMJB conseil, société de Conseil pour les affaires et autres conseils de gestion qui réalise un chiffre d’affaire de 550.000 euros et un excèdent d’exploitation de 500.000 euros (année 2012).
Frédéric Oudéa, Directeur financier depuis 2003, est nommé Directeur général en 2008 puis Président directeur général à partir de 2009.
Jean-Pierre Mustier, entré comme trader options sur actions en 1987, est l’un des artisans principaux du développement des activités à hauts risques de la SG. Il est Directeur général adjoint, en charge des activités de Banque de financement et d’investissement depuis 2003. Il perçoit dans les années qui suivent des rémunérations annuelles de quelques 10 millions d’euros. Il est nommé en 2008, après le déclenchement de l’affaire, Directeur du pôle Gestions d’actifs et services aux investisseurs et Président directeur général de SG Asset Management. Il quitte la Société générale en 2009, conseille diverses institutions financières et collecte des fonds pour des ONG. Depuis 2011, il dirige la banque de financement et d’investissement de l’italien UniCredit, première banque italienne qui, en 2013, a réduit ses effectifs de 8.500 salariés et déclaré une perte record de 14 milliards d’euros en effectuant des provisions massives sur des créances douteuses non purgées jusqu’alors. Il affirme prôner désormais la
« simplicité qui coûte moins et est moins risquée ».
Christophe Mianné, adjoint de Jean-pierre Mustier, Responsable des dérivés actions depuis 1999. Non seulement il n’a pas quitté la banque, mais il y occupe une position encore plus importante qu’avant. En 2009 il est nommé Directeur des activités marchés et en janvier 2012, Directeur délégué de la Banque de financement et d’investissement. Lors des deux procès Kerviel de 2010 et 2012, il a accablé celui-ci, le traitant de criminel tout en ne se reconnaissant aucune faute. Selon le journal
La Tribune qui évoque le témoignage d’anciens collaborateurs, Christophe Mianné avait pourtant à l’époque des faits
« un mépris absolu » pour les contrôles, les considérant
« comme des coûts, il refusait d’y investir pour ne pas amputer les enveloppes de bonus ».
Luc François, responsable mondial des dérivés actions au côté de Christophe Mianné, et membre du Comité de direction de la Société générale au moment des faits. Il quitte l’établissement en 2008, rejoint la banque
Morgan Stanley où il est Responsable monde des dérivés actions. En 2012, il rejoint Natixis, la banque de financement et d’investissement de la BPCE
(voir ci-dessous)dont il devient l’un des hommes clés, Responsable des marchés de capitaux pour la banque de financement et d’investissement de
Natixis et membre du comité exécutif.
Les autres Banques de financement et d’investissement : Calyon et Natixis, Le modèle de la Société générale s’est diffusé dans les années 2000 au Crédit agricole, aux Caisses d’épargne et aux Banques Populaires, banques "mutualistes" saisies elles aussi par la tentation de la banque de financement et d’investissement et des activités à haut risques et spéculatives. En 2003, Calyon nait de la fusion des activités banques de financement et d’investissement du Crédit Agricole et du Crédit Lyonnais. En 2006, Natixis nait de la fusion des banques d’investissement des Caisses d’épargne (Ixis) et des Banques Populaires ( Natexis). Dans la crise financière qui éclate en 2008 ces banques se révèlent particulièrement fragiles. Elles accumulent les pertes abyssales, mettent en danger les groupes bancaires dont elles dépendent. Le sauvetage mobilise des aides publiques massives. Les Caisses d’épargne et les Banques populaires doivent fusionner d’urgence en 2009.
S’agissant de Calyon, Marc Litzler, son Directeur général depuis 2004, recruté pour développer en grand la BFI du Crédit Agricole où il a fait partie de l’équipe dirigeante des activités dérives actions de la Société générale, a quitté Calyon et le métier de la finance en 2008.
S’agissant de Natixis, Dominique Ferrero, son directeur général, quitte ses fonctions en 2009.À l’instar de
Daniel Bouton pour la Société générale, les présidents des banques,
Georges Pauget pour le Crédit agricole et Calyon,
Charles Millhaud pour les Caisses d’épargne,
Philippe Dupont pour les Banques populaires et Natixis, ont également quitté leurs fonctions en bénéficiant de retraites chapeaux et en créant des sociétés de conseil.
Où est Christian Noyer ? Six ans après le déclenchement de ces tourmentes, les banques françaises affirment avoir totalement assaini leurs bilans. Ce n’est peut-être pas aussi sûr que cela. En janvier 2014,
un rapport de l’OCDE pointait l’insuffisance de fonds propres de certaines banques européennes, dont le Crédit agricole. Il n’est pas non plus évident qu’elles aient entièrement tourné la page des activités à haut risque et de la spéculation.Mais toute aussi choquante est l’attitude du gouverneur de la
Banque de France Christian Noyer, déjà en fonction à cette époque et qui aurait dû lui aussi en tirer les leçons. Au lieu de quoi, il a critiqué comme
« irresponsable » le projet de directive la Commission européenne visant à faire un pas pour limiter ce qui a été à l’origine de l’affaire Kerviel, en restreignant le trading sur fonds propres et en obtenant une certaine séparation des activités de banque et de trading pour les principales banques européennes
(lire "Dominique Plihon : « Les réformes européennes ne s’attaquent pas à la financiarisation »").
Affaire Dexia
L’affaire
Dexia est un autre volet de la crise bancaire à la française. En fait, il n’y a pas un, mais deux scandales Dexia. Le premier concerne la banque belgo-française Dexia et sa course folle à la rentabilité qui l’a menée à un sauvetage en 2008/2009 et à sa liquidation de fait en 2011/2012. Le second scandale c’est celui des prêts toxiques aux collectivités territoriales et aux hôpitaux publics (Lire "Banques, la grande amnistie" et "Pas d’amnistie pour les banques"). La facture s’élève déjà à 6,6 milliards d’euros pour l’État français mais elle pourrait encore gonfler.La Cour des comptes a publié en juillet 2013 un rapport détaillé sur Dexia. Elle souligne la défaillance des autorités de supervision qui
« n’ont pas su prévenir les risques avant 2008 » et qui
« se sont abstenues, après 2008, d’établir et de sanctionner les manquements au titre de leur contrôle prudentiel, alors que plusieurs infractions à la réglementation prudentielle et aux obligations de contrôle interne étaient relevées ».Les responsables des autorités de supervision sont depuis 2003 :
Christian Noyer, le président de la Commission bancaire au titre de Gouverneur de la Banque de France. Il est encore le Gouverneur de la Banque de France. Son mandat s’achèvera en 2015. Il est également toujours président de l’ACPR, autorité de supervision bancaire française qui a succédé à la Commission bancaire.
Danièle Nouy, la secrétaire générale de la Commission bancaire. En décembre 2013, elle a été nommée par le conseil de l’UE à la tête du Mécanisme de Supervision bancaire Unique (MSU) chargé de la supervision des 130 plus grosses banques européennes.Le sauvetage de Dexia a été suivi d’un changement de ses équipes dirigeantes, puis d’un renouvellement substantiel du conseil d’administration en 2009. À la demande des États, les deux principaux dirigeants de la banque – le français
Pierre Richard, président du conseil d’administration, et le belge
Axel Miller, administrateur délégué – ont quitté leur poste.Mais, souligne la Cour des comptes,
« la mise en cause de la responsabilité des anciens dirigeants n’a été recherchée ni par les nouveaux dirigeants nommés en 2008, ni par les actionnaires déjà présents ou entrés au capital en 2008, ni par les États. Les anciens dirigeants ont certes été évincés, mais ils ont pu conserver le bénéfice d’avantages financiers substantiels, parmi lesquels, pour les dirigeants français, des dispositifs contestables de retraites chapeaux ».Ainsi, ce n’est qu’en 2012 que le conseil d’administration de Dexia a tenté de remettre en cause ces avantages financiers.
Pierre Richard, le président de Dexia jusqu’en 2008 a accepté de diviser par deux sa retraite chapeau, soit le niveau encore très confortable de 300.000 euros, un montant qui, de plus, n’intègre pas sa retraite de haut fonctionnaire. Par ailleurs, il est resté jusqu’à une date récente, membre du conseil d’orientation de l’Institut de l’entreprise, think
tank du grand patronat sur l’enseignement de l’économie. Et il est, semble-t-il, toujours administrateur d’EDF Énergies nouvelles.
Rembert Von Lowis, directeur financier du groupe, a bénéficié d’une indemnité de départ de 673.760 euros tout en redevenant immédiatement salarié de l’INSEE, son corps d’origine.
Bruno Deletré, membre du Comité de direction de Dexia, qui a été longtemps en charge des financements structurés – c’est-à-dire des prêts devenus toxiques –, quitte Dexia en juin 2008, avec une indemnité de 725.000 euros. Il est reversé immédiatement dans la fonction publique et en juillet 2008, il réalise pour la ministre de l’Économie
Christine Lagarde un rapport sur... "l’organisation de la supervision des activités financières en France"
(sic). En 2009, il intègre le groupe
Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE). Depuis juillet 2011, il est directeur général du Crédit foncier de France et membre du comité exécutif de la BPCE.Tout cela, conclut la Cour des comptes
« fait de Dexia le symbole d’un sinistre bancaire sans désignation, ni mise en cause de responsables, dont les conséquences financières lourdes sont laissées à la charge des contribuables ».