Iris Van Herpen Printemps/Eté 2011
Je ne sais pas vous, mais pour ma part, cette vision de la « robe d’eau » d’Iris Van Herpen m’a immédiatement fascinée. Je n’avais encore jamais vu, même dans les expressions les plus originales et extrêmes de la mode, de travail du matériau qui puisse reproduire d’une manière aussi « réelle »et subtile à la fois, un tel état de la matière.
Il semblerait qu’il existe plusieurs versions de la robe d’eau. Celle-ci est dévoilée au public lors de la Fashion Week d’Amsterdam, lorsque la jeune designer présente en juillet 2010 sa collection de Haute-Couture Printemps/Eté 2011, intitulée Crystallization. Deux robes d’eau différentes défilent alors. L’éclaboussure cristallisée en auréole autour du mannequin, comme si nous étions le diaphragme d’un appareil photo qui capture une image si furtive qu’il est impossible de la voir par un œil humain, est combinée à une robe courte en cuir découpée nude ou violet d’allure futuriste.
Une nouvelle version est créée lors d’un projet organisé par SHOWstudio, le site internet dédié à la présentation de la mode dirigé par le photographe/réalisateur Nick Knight. Splash, en collaboration avec Iris Van Herpen, Nick Knight et Daphne Guinness, est une opération de plusieurs semaines qui vise à reconstituer en robe des éclaboussures envoyées sur le corps de Daphne. D’abord dévoilée sur la toile, la robe d’eau de Daphné Guinness est ensuite exposée pour la première fois le 6 juin 2013 dans les locaux de SHOWstudio à Londres. Finalement, c’est l’une de des premières versions de la robe d’eau évoquées plus haut qui fut choisie pour l’exposition consacrée à l’artiste néerlandaise, clôturée en décembre dernier à la Cité de la dentelle et de la mode à Calais.
Iris Van Herpen Printemps/Eté 2011
Exploit technique et optique, la robe d’eau présentée ici est le résultat d’une étroite relation avec deux architectes du cabinet Benthem Crouwel, qui achevèrent en 2012 la nouvelle aile du Stedelijk Museum à Amsterdam. Ce bâtiment ayant la forme d’une gigantesque baignoire, les architectes demandent àIris Van Herpen d’imaginer une robe en rapport avec ce bâtiment. La jeune femme explique qu’elle est déjà fascinée par l’eau, rappelant dans une interview que nous sommes nous-même composés à 90% d’eau. Elle réfléchit alors à la manière dont elle pourrait cristalliser de façon permanente une matière liquide, à la fois chaotique et incroyablement structurée.
Ainsi cette première robe d’eau devient l’expression de l’imaginaire d’Iris, qui « construit » et modèle de façon totalement arbitraire un matériau artificiel pour lui donner une apparence naturelle. Aussi, les premiers modèles de la robe d’eau restent des projections mentales, tandis que celle qui fut conçue pour Daphne Guinness est totalement tributaire de la matière elle-même, qui a imposé sa forme à la robe.
Ainsi, lors du projet Splash, l’artiste s’est servi exclusivement des formes que prenait l’élément liquide projeté sur le corps de Daphné Guinness. Celles-ci avaient été capturées par des caméras ultra-rapides placées à différents angles autour du corps du mannequin. Étant subordonnée à ces formes, Iris explique qu’elle ne peut choisir un cliché pris de l’eau au moment où celle-ci se brise, formant alors comme un millier de cristaux autour du corps de Daphné, et par conséquent impossible à reproduire.
(C) Bart Oomes
D’un point de vue technique, cette robe combine matériaux nobles de la couture et nouvelles technologies. L’éclaboussure est en fait une plaque de plexiglas thermoformée à la main par la designer pour lui donner l’apparence du liquide en mouvement. A l’aide de ciseaux, de pinces, elle découpe, déforme, étire et façonne un élément par essence fuyant et imprenable, poussant encore plus loin les limites de la créativité en matière de mode.
Ancienne élève de feu Alexander McQueen, Iris Van Herpen montre également dans ses créations de l’intérêt pour les formes fantastiques, qui s’ajoutent de façon totalement artificielle au corps pour en souligner les contours et les retravailler, que ce soit les épaules, le buste, les hanches. Mais parce que ces formes sont si complexes, fruit d’un travail manuel très poussé combiné à l’usage de nouvelles techniques comme l’impression 3D, les créations d’Iris Van Harpen arrivent selon moi à nier totalement le support sur lequel elles sont placées, invitant à une réflexion plus profonde sur la connaissance du corps humain et notre état de nature dans le temps et l’espace.
C’est ce que pourrait vouloir dire la robe d’eau. Si l’on peut voir dans l’auréole légère une éclaboussure, voire un crevé de la matière par le mannequin émergeant de la surface de l’eau, l’illusion de la genèse d’une transformation du corps humain en élément liquide est également possible.
En ce sens, Iris Van Herpen pourrait avoir été marquée par les visions apocalyptiques d’Alexander McQueen qui, pour son ultime collection de prêt-à-porter, avait convoqué Platon et son Atlantide pour nourrir la vision du futur de l’humanité, dans lequel nous serions retournés dans un monde subaquatique, aussitôt que les pôles eurent été dissous. Mais c’était moins la reproduction de l’élément liquide que l’évocation de transformations physiques qui avaient intéressé McQueen. Ici, Iris Van Herpen nous offre une proposition non moins poétique ou esthétique, et combine admirablement l’apparence à la fois douce du cuir lavande et violente des lacérations, avec la légèreté et l’inconstance de l’élément eau.
Iris Van Herpen Printemps/Eté 2011
Clémentine Marcelli
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