Le Doum croît auprès des monumens de Philae, de Thèbes et de Denderah. Sa verdure contraste avec la sécheresse des lieux qui l'environnent. En s'élevant dans les plaines presque stériles qui bordent le désert, il présente un rempart contre les vents et les sables ; et il rend propre à la culture, des lieux qui seroient abandonnés, s'il ne les abritoit.
Alyre RAFFENEAU-DELILE
Description du palmier doum de la Haute-Égypte, ou Cucifera thebaïca
Les passionnés d'Égypte ancienne dont vous et moi sommes, amis visiteurs, n'ignorent certes pas toute l'importance que revêt Montpellier dans notre domaine de prédilection, avec son université Paul-Valéry au sein de laquelle s'est développé un très intéressant Centre François-Daumas, du nom du savant français (1915-1984) qui, le premier, en occupa la chaire d'Enseignement de l'Égyptologie.
Ce que vous savez peut-être moins, c'est que dans le quartier vieux de cette ville du Languedoc-Roussillon se niche un exceptionnel hôtel particulier, devenu Espace Culturel depuis 1999, ayant appartenu à un certain Pierre Magnol (1638-1715), médecin, naturaliste, directeur du jardin botanique - premier Jardin des Plantes en France, souhaité en 1593 par le roi Henri IV -, "laboratoire expérimental" de simples dans un premier temps, c'est-à-dire de plantes médicinales destinées aux préparations dispensées par les Hippocrate de la Renaissance, à l'instar de celles des potagers des monastères chrétiens de notre Occident médiéval.
Si ce matin j'évoque Magnol, ce n'est pas uniquement pour vous rappeler que son nom passa à la postérité grâce, notamment, au célèbre botaniste suédois Carl von Linné, - dont j'avais cité le nom en vous donnant à lire dernièrement un extrait de la cinquième promenade des Rêveries du Promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau -, qui emprunta son patronyme pour définir un laurier-tulipier importé d'Amérique, arbre à la superbe floraison printanière et à l'exquise fragrance, à l'ombre duquel, tant, je me plais à lire : le magnolia.
Non, si je fais allusion à ce docteur montpelliérain, c'est parce qu'il fut le premier à classer les plantes selon leurs caractéristiques physiques. Ce que reprit et compléta Linné par la suite et qui constitue encore de nos jours la structure même de la systématique végétale, comprenez : leur groupement par systèmes.
En Grèce, Théophraste d'Érèse (approximativement 371-288 avant notre ère), philosophe trente ans formé sous l'égide d'Aristote, - dont il devint le successeur à la tête du Lycée -, mais aussi savant auteur d'une Historia plantarum basée sur les renseignements colligés in situ par les compagnons d'Alexandre le Grand, fut un botaniste de renom auquel j'ai précédemment aussi fait référence dans la mesure où il s'exprima sur bon nombre de particularités de la flore égyptienne.
J'ajoute qu'il est communément admis qu'il posséda, stricto sensu, le tout premier vrai jardin botanique digne de ce nom, celui de Thoutmosis III à Karnak, je le rappelle au passage, n'étant que représentations gravées sur des parois murales.
A Montpellier, le jardin des plantes initié par le Vert Galant - et "vert", ici, n'a strictement rien à voir, faut-il le préciser, avec les végétaux du potager royal -, prit au fil des années une extension non négligeable puisque s'y acclimatèrent des espèces exotiques.
Et c'est là que j'en appelle à Raffeneau-Delile, l'auteur de l'exergue que je vous ai proposé ce matin : à l'extrême fin du XVIIIème siècle, le jeune savant qui eu l'heur, avec quelque 150 autres, d'accompagner Bonaparte lors de son expédition en terres nilotiques, non seulement rapporte en France plusieurs espèces allochtones mais aussi constitue un "herbier égyptien", prototype des futures planches de la section botanique de l'imposanteDescription de l'Égypte ...
Cette longue introduction autour de Delile pour vous encourager, amis visiteurs, après le mimusops que nous avons de conserve rencontré les 13, 20 et 27 mai derniers, à considérer un autre fruit, un autre arbre égyptiens sur lesquels, dès aujourd'hui et les semaines à venir, j'aimerais attirer votre attention.
C'était le 24 avril 2008. Ce blog avait un mois.
J'avais, peut-être vous rappelez-vous, évoqué ce jour-là le Belge Henri-Joseph Redouté, dessinateur spécialisé en histoire naturelle qui, lui aussi, s'embarqua aux côtés de petit génétal corse.
Dans la monumentaleDescription de l'Égypte susmentionnée, de nombreuses planches sont signées de Redouté, dont celle-ci que j'ai sélectionnée à votre intention à partir du site internet qui propose l'ouvrage complet, intitulée : Palmier doum. Détails de la feuille et de la grappe
Ce régime, ces fruits groupés (en général une grosse trentaine), - qouqou, en égyptien ancien ; noix-doum, en "français", le second terme provenant de la langue arabe -, ce sont, toutes proportions gardées, les mêmes que le modèle (E 14189), en faïence siliceuse bleue, datant du Moyen Empire, placé juste devant le mimusops, que vous avez ici devant vous, à l'extrême droite de l'étagère accrochée au panneau central, côté Seine, de la vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Mais aussi, les mêmes que ceux contenus dans cette coupelle du neuvième et dernier meuble vitré, là-bas, avant la sortie vers la salle suivante.
De forme relativement ovoïde, évoluant du jaunâtre au brun rougeâtre, cette drupe sèche sessile, - comprenez : qui semble directement attachée à son support sans intermédiaire, sans pétiole ou pédicelle -, indéhiscente aussi, c'est-à-dire qui ne s'ouvre pas à maturité mais tombe entière de l'arbre, comme une noisette ou un gland de chêne, par exemple -, est dotée d'une chair intérieure fibreuse très prisée des Égyptiens grâce à sa douceur sucrée et son arrière-goût à saveur de pain d'épice.
Quant à sa membrane extérieure, fine écorce reluisante, également comestible, mais plus poivrée, elle entrait parfois dans la composition de certains pains.
En voie de maturation, l'amande, le noyau de la noix-doum, renfermait un liquide lactescent, - aisé à aspirer dès le péricarpe percé -, censé abreuver les défunts assoiffés.
J'y reviendrai ...
A maturité, son albumen durcissait considérablement : plus souvent appelé "ivoire végétal", il permettait, vous l'aurez deviné, la confection de certaines perles, des bracelets ou de menus objets sculptés qu'il suffisait alors de polir pour les rendre plus qu'agréables à l'oeil ...
J'indique au passage, - parenthèse linguistique -, qu'il serait aussi possible de m'exprimer à l'indicatif présent dans la mesure où le palmier-doum et ses fruits existent toujours et sont toujours consommés chez les peuples africains qui le cultivent.
A la différence des fruits du palmier dattier, ceux du doum ne sont mentionnés dans aucun des papyri médicaux actuellement connus, à tout le moins sous leur appellation antique de qouqou
Dans l'incontournable étude des Papyrus médicaux de l'Égypte pharaonique, publiée chez Fayard en 1995 par Thierry Bardinet, je n'en ai en effet retrouvé nulle trace.
(Mais peut-être ai-je mal cherché ?)
Et la lecture de l'article de Victor Loret, Étude sur quelques arbres égyptiens, référencé ci-dessous, me confirme que les auteurs anciens n'attribuèrent aucune propriété curative à ce fruit.
Et pourtant, Nathalie Baum avance, p. 110 de son ouvrage, également indiqué ci-après, qu'avec ce fruit, l'on prépare des boissons fébrifuges, des remèdes contre les troubles gastro-intestinaux, ainsi que des toniques cardiovasculaires. Qui croire ?
Mais peut-être s'agit-il de pratiques qui nous sont contemporaines mais qu'ignoraient les Égyptiens de l'Antiquité ...
Certains d'entre-vous, amis visiteurs, pourraient-ils éventuellement m'éclairer sur ce point particulier de notre entretien ?
Quoi qu'il en soit, qu'était réellement cet arbre qui produisit la noix-doum ? Eut-il un rôle à jouer au sein des croyances phyto-religieuses égyptiennes ? Si oui, lequel exactement ?
Voilà de nouvelles questions que nous aborderons vous et moi dès mardi 17 juin prochain, pour autant que vous acceptiez ce nouveau rendez-vous que d'ores et déjà je vous fixe.
BIBLIOGRAPHIE
AUFRÈRE Sydney H.
La botanique et la tradition montpelliéraine et languedocienne. Le jardin botanique de Montpellier, ERUV I, Orientalia Monspeliensia X, Montpellier III, Université Paul-Valéry, 1999, pp. XXIII-XXVII.
BAUM Nathalie
Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, p. 106 et 110.
BEAUVERIE Marie-Antoinette
Description illustrée des végétaux antiques du Musée égyptien du Louvre, B.I.F.A.O. 35, Le Caire, I.F.A.O., 1935, pp. 121-2.
BEAUX Nathalie
Le Cabinet de curiosités de Thoutmosis III, OLA 36, Louvain, Peeters, 1990, pp. 207-9.
LORET Victor
Étude sur quelques arbres égyptiens. I. Les palmiers d'Égypte, dans Recueil des travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes, Volume 2, Livre 1, Paris, F. VIEWEG Éditeur, 1880, pp. 21-6.
(Librement téléchargeable sur le site de l'Université de Heidelberg.)
RAFFENEAU-DELILE Alyre
Description du palmier doum de la Haute-Égypte, ou Cucifera thebaïca, dans Description de l'Égypte, ou recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'armée française, publié par les ordres de Sa Majesté l'Empereur Napoléon le Grand, Volume V : Histoire naturelle, Tome I, Paris, Éditions de l'Imprimerie nationale, 1809, pp. 53-8.
(Librement téléchargeable sur le site de l'Université de Heidelberg.)
TALLET Pierre
La cuisine des pharaons, Arles, Actes Sud, 2003, pp. 82-3.