Un film qui, bien qu’un peu confus au début en raison de noms de familles qu'on n'a pas encore mémorisés, est étonnamment prenant grâce à un rythme très agréable qui permet de se concentrer sur les personnages, brossés avec savoir-faire par un Jeunet attentif et précis.
Certains spectateurs au cinéma ont paru gênés de retrouver les mêmes "gueules" que dans Amélie Poulain... Ça ne me semble perturbant que pour Audrey Tautou : non pas qu’il y ait à redire dans son interprétation d'une femme plus complexe et dure qu'elle en a l'air, mais bien du fait qu'elle a du mal à se défaire de cette image un peu lisse du précédent film. Pour en revenir à Un long dimanche de fiançailles, on s'aperçoit avec le recul que les personnages sont finalement tous des seconds rôles, placés à l'écran avec quelques lignes de texte, des expressions marquantes, des gestes reconnaissables, dans ce qui n'est peut-être qu'une succession de saynètes habilement mises bout à bout. C'est peut-être effectivement le cas, mais ça n'ôte rien de l'intérêt qu'on porte à la progression des enquêtes et ne parvient pas à voiler le sourire qu'on affiche devant quelques paroles hautes en couleurs. Cela dit, on a plus de mal à s'attacher au sort de chacun, à vibrer devant le destin aussi déroutant que tragique qui est réservé à la plupart des protagonistes, comme si la guerre et ses conséquences empêchaient qu'on y prête vraiment plus d'attention qu'il n'y faudrait. Pourtant, les caractères sont vifs, bien trempés et séduisants, à l’image d’Elodie, jouée par une Jodie Foster étonnante et finalement très sobre, mais surtout de Tina Lombardi portée par une Marion Cotillard habitée, emplie d’une énergie exceptionnellement rayonnante. Si les hommes qui étaient au front engendrent l’histoire, le scénario s’articule bien autour des personnages féminins.
A partir d’un scénario complexe et intense, tiré du roman à succès réputé inadaptable de Sébastien Japrisot, on obtient une espèce de chronique douce-amère, sensible et belle, pas si éloignée que cela des images d'Epinal... L'émotion transparaît, sagement, sans grande envolée lyrique, à l'image d'une musique sage mais limpide et vivante de Badalamenti qui s’affranchit ici du carcan (tout relatif) de l’illustration sonore des œuvres de Lynch et des ambiances étouffées à la limite du sordide de certains films d’horreur contemporains (Cabin Fever, Dominion) - il avait déjà été l'auteur de la B.O. de la Cité des Enfants perdus. On s'ébaubit aussi devant l’image restaurée des Halles de Paris, le talent de Jeunet y éclate comme une vérité longtemps retenue : la France de l’après-Grande Guerre s’ouvre aux Années Folles et au foisonnement de l’Art Déco, mais Jeunet mâtine cette vision d’un brin de nostalgie et d’un remaniement osé, embellissant volontairement l’ensemble pour lui donner cette touche colorée aussi typique que séduisante, bien qu’elle ait écœuré certains puristes de la reconstitution. Le goût du metteur en scène pour les filtres colorés pastel et sépia, dont il use à foison, illustre sa fascination pour ce passé fantasmé dont il extrait des éléments épars afin d’élaborer un monde hors du temps dominé par une forme de langueur béate. Au-delà, on est aussi soufflé par certaines séquences puissantes mais brèves sur les tranchées et on est (un peu) ému par l'acharnement de Mathilde à retrouver son amour perdu en s’accrochant à un espoir vacillant.
Œuvre sur la perte et sur la foi, qui offre un beau spectacle, un peu trop léché, un peu trop maîtrisé pour susciter l’émotion débordante qu’elle aurait mérité.
Titre original
Un long dimanche de fiançailles
Réalisation
Jean-Pierre Jeunet
Date de sortie
27 octobre 2004 avec Warner
Scénario
Guillaume Laurant & Jean-Pierre Jeunet d’après le roman de Sébastien Japrisot
Distribution
Audrey Tautou, Gaspard Ulliel, Dominique Pinon, Clovis Cornillac, Jodie Foster & Marion Cotillard
Photographie
Bruno Delbonel
Musique
Angelo Badalamenti
Support & durée
2.35 :1 / 134 min
Synopsis : En 1919, Mathilde a 19 ans. Deux ans plus tôt, son fiancé Manech est parti sur le front de la Somme. Comme des millions d'autres, il est "mort au champ d'honneur". C'est écrit noir sur blanc sur l'avis officiel. Pourtant, Mathilde refuse d'admettre cette évidence. Si Manech était mort, elle le saurait ! Elle se raccroche à son intuition comme au dernier fil ténu qui la relierait encore à son amant. Un ancien sergent a beau lui raconter que Manech est mort sur le no man's land d'une tranchée nommée Bingo Crépuscule, en compagnie de quatre autres condamnés à mort pour mutilation volontaire ; rien n'y fait. Mathilde refuse de lâcher le fil. Elle s'y cramponne avec la foi du charbonnier et se lance dans une véritable contre-enquête.
De faux espoirs en incertitudes, elle va démêler peu à peu la vérité sur le sort de Manech et de ses quatre camarades.