À un bouleau…
Le jour se pose sur la page blanche et je pourrais imaginer. Un scénario, des personnages, une histoire
Oui, je pourrais imaginer. Un scénario, des personnages, une histoire cousue de fil blanc. Mais l’aube appelle la vérité… démaquillée. Car vient un temps où la vie cesse de chuchoter et hausse le ton pour crier.
Je suis de l’arbre les racines, le tronc, le faîte, la ramure
le cœur, le centre, le pilier
des racines jusqu’au bout des branches, je suis
jusqu’au vert tendre des feuilles
si éphémère
Et dans le secret de l’arbre, du pied jusqu’au sommet, tant de tracés, tant de canaux où, de haut en bas, de bas en haut, circule la sève. Et, cernant son cœur, entre le bois dur et l’écorce, œuvre du temps, comme les pages d’un grand livre, en minces couches superposées, l’aubier et le liber.
Tant de tracés, tant de canaux qu’il y faudrait comme sur les cartes, placées au centre des cités à l’intention des voyageurs, y dessiner un cercle rouge ou bien une flèche pour indiquer « vous êtes ici ». Alors que, peut-être, ailleurs est votre tête.
Et moi, même si ma tête s’offre à tous vents, je veux des mots qui s’enracinent et de mes mots puisés à même la sève toucher de l’humain l’écorce et le liber.
Je sais, je rêve.
Car un tel arbre ne pourrait faire autrement que cacher la forêt tout entière. Et pour tant de livres écrits. Tant d’autres jetés aux flammes.
Et moi, en regardant mon bouleau blanc, je me questionne. Faut-il abattre l’arbre pour le bois brûler et voir ainsi, tranquillement, autour de son cœur, privés de sève, l’aubier et le liber s’assécher ? Faut-il sacrifier l’arbre pour retrouver un jour, peut-être, parmi ses cendres la mémoire des mots jadis jetés aux flammes ?
Car vient un temps où la vie cesse de chuchoter.
Je suis de l’arbre les racines, le tronc, le faîte, la ramure
le cœur, le centre, le pilier…
Notes
L’aubier désigne la partie de l’arbre la plus proche du cœur et du bois parfait, ou lignifié. Il est formé de couches concentriques non encore lignifiées formant encore un bois imparfait. Ces couches dans lesquelles circulent les matières nutritives se transforment en bois parfait après une période de 4 à 20 ans.
Le liber, du mot latin liber : livre, forme la partie interne « vivante » de l’écorce. Il comporte lui aussi un ensemble de vaisseaux dans lesquels circule la sève élaborée. Il empile comme les pages d’un livre des couches de réserve.
Notice biographique
Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à