~~ PROMENADE (d'après Maupassant)
Quand le père Tabut
Sortit dans la rue,
Il demeura un instant
Ébloui par l’éclat du soleil couchant.
La librairie dont il était gérant
Depuis trente ans
Demeurait si sombre que, même l’été,
Il devait l’éclairer
De neuf heures
À dix-neuf heures.
Ce soir-là, ce célibataire endurci,
Se sentait tout guilleret.
Alors, avant de rentrer chez lui, il se dit :
-‘’Voilà une belle soirée.
Je vais aller me promener au Bois.
Et il se mit à fredonner un air d’autrefois :
" Quand le bois reverdit,
Mon amoureux me dit :
Viens respirer, ma belle,
Sous la tonnelle…"
La nuit descendait.
Tabut suivait une large allée
Où les amoureux passaient enlacés,
Grisés de la même fiévreuse pensée.
Il s’était assis sur un banc
Et presque instantanément,
Une fille prit place à son côté :
-« Bonsoir, mon mignon,…enchantée… »
Il ne répondit point. Elle reprit :
-« Laisse-toi aimer, chéri. »
-« Vous vous trompez ! »
Il se leva, très choqué
Et s’éloigna.
Une autre femme lui prit le bras :
-« Asseyons-nous ici ;
Veux-tu, mon joli ? »
-« Pourquoi faites-vous ce métier ? »
D’une voix rauque, elle répondit :
-« Faut bien gagner sa vie ! »
Il s’en alla, pétrifié.
D’autres filles encore l’appelèrent,
L’invitèrent.
Il se mit à penser
À cet amour, vénal ou passionné,
À tous ces baisers, libres ou payés,
Qui devant lui défilaient.
Il songeait à sa vie
De misère infinie,
Sans rien devant lui,
Rien derrière lui, rien autour de lui.
Rien dans le cœur.
Rien nulle part ailleurs.
Plus de parents.
Pas d’enfants.
Il était seul,
Tout à fait seul.
Demain, il sera encore seul,
Seul, comme personne n’est seul.
De nouveau il s’assit.
Il songea à son triste logis
Encore plus triste que sa librairie
Et où personne n’entrait à part lui.
Une sensation de détresse l’étreignit :
Sa chambre est vide comme sa vie.
A la pensée de se coucher seul dans son lit,
Il s'épouvanta.
Alors il se leva,
Et pénétra dans un taillis.
…………………………………
Le soleil, déjà haut, versait
Son flot de lumière tamisé
Quand un cavalier qui passait
Sous ce bosquet
Aperçut un pendu.
Les gardes appelés sans retard
Décrochèrent l’individu.
Il fut déterminé que le décès
Remontait à la veille au soir.
Les papiers trouvés sur lui révélaient
Qu’il était célibataire,
Libraire,
Et qu’il se nommait Tabut David.
On ne put soupçonner les causes du suicide.