C'est le tatau polynésien, observé au XVIIIe siècle par l'équipage du capitaine Cook qui a donné son nom au tatouage. C'est devenu une forme artistique et un phénomène global. Le tatouage est fait d'échanges entre les pays, entre courants marginaux et dominants. Et de nos jours l'extension des médias l'a rendu particulièrement proche. Au long des époques et à travers les continent, autrefois marqueur ritualisant dans les sociétés traditionnelles, le tatouage a été éradiqué par la colonisation pour devenir au XIXe siècle objet de fierté et de spectacle et enfin au XXe siècle, pratique artistique.
L'histoire globale du tatouage est celle d'un ensemble de gestes techniques, d'outils, de pigments, de procédés figuratifs destinés au marquage du corps. On tatoue pour guérir, remercier les dieux, marginaliser, assujettir, punir, magnifier ou avilir le porteur du tatouage. Depuis la Préhistoire, le tatouage prend des formes multiples dans des contextes aussi variés que le traitement de l'arthrose au néolithique supérieur, le culte de certaines divinités dans l'Égypte ancienne ou la manifestation du statut en Sibérie orientale. Cependant un trait commun émerge : marquer la peau revient à marquer l'inscription du sujet dans le corps social. Le tatouage est la trace d'une relation de soi à soi, de l'individu à son groupe d'appartenance et du tatoueur a tatoué.
Les premiers tatouages (3500-3100 av. J-C.) étaient à but thérapeutique : traiter l'arthrose. Le corps tatoué d'Otzi, portant 50 tatouages a été découvert dans les Alpes italo-autrichiennes en 1991, datant de plus de 4500 ans. Dans l'antiquité le tatouage situait l'individu dans un système de relations sociales, politiques et cosmologiques. La découverte de momies tatouées en Sibérie, au Pérou et aux Philippines a mis au jour la diversité des tatouages de cette période.
Au Japon, l'irezumi a une longue tradition, il connait son apogée au XVIIIe s. avec Le roman au bord de l'eau, les aventures de 108 bandits couverts de tatouage; le tatouage traditionnel recouvre tout ou partie du corps. Ce bodysuit, costume corporel, peut être complet ou partiel. Il emprunte son iconographie à la nature et au folklore nippon. Interdit en 1872, il continue dans l'ombre jusqu'à devenir tabou au XXe s. car associé aux yakusas. L'irezumi est redécouvert par les étrangers et les échanges du monde moderne relance cette pratique.
En Europe la pratique est réprimée par le christianisme, elle est cependant adopté par les Croisés et les Chrétiens en Terre sainte et perdure surtout comme marquage criminel. Mais dès le XVe siècle, avec le temps des explorateurs, le tatouage est redécouvert par les voyageurs occidentaux en Asie, en Océanie et aux Amériques. Existant sur la peau des marins et des aventuriers le tatouage perd la fonction d'assimilation qu'il remplit dans les sociétés extra-européennes. En Occident cette pratique est encore marginale, tandis que dans les colonies les autorités répriment activement la pratique traditionnelle à des fins religieuses, magiques et initiatiques. Dès le début du XIXe siècle en Europe, le tatouage se propage de nouveau. Il envahit la rue, le milieu carcéral ainsi que le monde du spectacle.
Marque infamante, signe de servitude ou perte d'identité, le tatouage remplit pendant des siècles une forme marginalisante. Marquage des esclaves à Rome, stigmatisation des criminels en Chine impériale, Code noir de Colbert qui marque les criminels et les prostituées, le tatouage signale de manière définitive et immédiate l'individu dangereux. En opposition, se développe dès le XIXe siècle un tatouage volontaire et offensif, instrument de revendication. De la marine marchande à l'armée, le tatouage atteste un parcours : on immortalise sur sa peau l'emblème de son régiment, de sa conscription. Des trottoirs au goulag, le tatouage écrit le vocabulaire crypté de gens déterminés à braver l'autorité et à se défendre de l'hostilité.
En URSS, un passionné nommé Danzig Baldaev avait classifié les "tatouages asociaux" : le poignard qui transperce un code pénal comme symbole anarchique, les croix indiquant le nombre de condamnations, les bagues tatoués sur les doigts signifiant la nature du délit … Dans les camps, ces tatouages étaient effacés chirurgicalement et leurs porteurs condamnés à mort dans les années dures du stalinisme (1929-1953).
Au début des années 1830 en Amérique du Nord, les "sideshows" installent leurs roulottes autour des cirques ambulants. On y exhibe attractions de foires et phénomènes anatomiques. On emploie aussi des tatoués qui sont également avaleurs de sabres, dresseurs d'animaux ou cracheurs de feu. Grâce à ces performeurs le spectacle du corps tatoué connait un âge d'or au XIXe s.
Des innovations techniques et artistiques permettent ces échanges : en 1891 la machine à tatouer électrique par l'américain Samuel O'Reilly permet l'extension du tatouage. Cette effervescence doit beaucoup à l'influence japonaise… Tout le long du XXe s. les échanges s'intensifient, grâce à la création de sociétés et en 1976, se tient la première convention internationale de tatouage à Houston.
Dans les sociétés traditionnelles, le tatouage avait une valeur rituelle, symbolique et magique. De nos jours quelle en est la signification ? Dans une vidéo, une jeune Japonaise au look sage et coiffée au carré, cadre dans une entreprise, a le corps entièrement tatoué, mieux elle porte une perruque pour cacher à l'extérieur son crâne totalement tatoué. Elle dit que là est sa liberté. Dans d'autres vidéos, des occidentaux jeunes –mais pas que- expliquent que leur corps tatoué est la somme de leurs expériences, que toute leur vie est ainsi mise en scène. Et pour vous ?
Musée du Quai Branly
37 quai Branly, 75007
jusqu'au 18 octobre 2015