370ème semaine politique: la France de 2014 a oublié celle de 1944

Publié le 07 juin 2014 par Juan

Hollande voulait communier dans le souvenir a l'occasion du 70 anniversaire du Débarquement de Normandie.

Mais, loi pénale oblige, une certaine France politique et détestable réactive mensonges sécuritaires et dérapages racistes. 

De la France de 1944 ... C'était une semaine d'anniversaire, la 70ème bougie du plus grand débarquement militaire que l'Europe ait connu. Le vendredi 6 juin, 18 délégations officielles, des vétérans et leurs familles se retrouvaient sur les plages de Normandie pour la célébration. Mais depuis des semaines, la France médiatique est à l'heure du D-Day. Nos chaînes de télévisions multiplient les rediffusions de films d'archives ou de fiction, la presse enchaîne les dossiers spéciaux. On revoit cette France de 1944 en noir et blanc ou en couleur. On se souvient de Pétain, des collabos, des nazis. On célèbre le GI ou le résistant, on soulève quelques faits occultés, comme les pertes civiles.
Bref, le travail de mémoire est à son comble.
Jeudi, François Hollande dîne avec un G7 sans Poutine, puis Poutine sans le G7. Le président normal fait dans la diplomatie que d'aucuns jugent anormale. Sans attendre, on accuse Hollande d'avoir raté une occasion de réconcilier les monarques du monde après la crise ukrainienne ou les désaccords sur la Syrie. Hollande a pourtant parfaitement réussi son coup. Il a évité l'humiliation suprême au leader russe. Vendredi sur les plages de Normandie, Obama, Poutine et le nouveau président ukrainien élu le 25 mai dernier, ont même pu échanger.
Vladimir Poutine, symboliquement ostracisé ce soir là, se défend bien face à deux journalistes français de TF1 et Europe1 qui pourtant avaient retrouver une vigueur qu'on croyait oublier. La première chaîne tronque l'interview de quelques messages croustillants. Poutine cache son autocratie sanguinaire en attaquant l'impérialisme américain. Cette farce argumentaire date de la Guerre Froide.
Vendredi, le défilé monotone des monarques et chefs d'Etat à Ouistreham réjouit pourtant les téléspectateurs.  On voit tous nos anciens présidents et premiers ministres sur l'estrade. Sarkozy n'a pas pris la peine de se raser.  Hollande livre un beau discours, loin des narcissismes du quinquennat précédent.
Le travail de mémoire est à son comble, mais il ne sert visiblement à rien. On se rappelle la France de 1944 - la victoire contre le nazisme, l'espoir de la Libération, la reconstruction sociale et économique qui suivit - comme pour mieux oublier combien celle de 2014 nous fait honte.
... à la France de 2014 ...
Car l'actuelle France politique pue.
Depuis sa nomination en mai 2012 comme Garde des Sceaux, Taubira a été la cible des attaques les plus indignes. On pouvait croire la France revenue dans les années trente, un sale climat qui empeste le national-fascisme et le racisme. Taubira est noire, femme et ministre de la Justice. Que demander de pire pour les furibards de la France rance ? On accusa donc Taubira de tous les maux, surtout les plus incroyables. On l'accuse de laxisme: de mai 2012 à mai 2014, le nombre de prévenus et condamnés emprisonnés a progressé de 67 073 à 68 645. Bravo pour une ministre qui "vide les prisons" ! "Mieux", quelques 6.500 places supplémentaires sont en cours de construction.
Avec plus de 68.000 prisonniers pour 57 000 places, la surpopulation carcérale est une réalité, un mal qui ne cesse de s'aggraver depuis des décennies. Elle est régulièrement dénoncée, volontairement négligée malgré la gouvernance sécuritaire qui frappe ce pays depuis 2002: 45 établissements ou quartiers d'emprisonnement souffrent d'une densité supérieure ou égale à 150 %. Ce 6 juin 2014, l'Etat a été condamné pour un cas individuel affecté par le drame. La veille, les gardiens de la prison de Carcassonne sont entrés en grève contre l'exact même problème. A Marseille, il y a juste un mois, leurs collègues des Baumettes manifestaient aussi.
Dès mardi 3 juin, Christiane Taubira défend donc son texte de loi sur "la prévention de la récidive et l'individualisation des peines" à l'Assemblée nationale. Un texte tronqué mais ambitieux, tardif mais attendu. La droite politique, qui avait un temps calmé sa furie après l'adoption du mariage pour tous au printemps, puis le report de la réforme pénale et la nomination de Manuel Valls à la tête du gouvernement, s'en redonne à coeur joie. Le cirque est reparti. Le FN n'a rien à faire, la droite "fait le job".
Sans lire le texte, la droite et l'extrême droite ont déjà multiplié les accusations les plus mensongères depuis des mois. Ces mêmes mensonges ont pu encore une fois être répétés cette semaine sur les bancs de l'Assemblée. Non, la loi Taubira ne prévoit aucune réduction de peine automatique, bien au contraire. Non, elle ne vide pas les prisons de ses criminels condamnés. Elle durcit même le dispositif pénal en abaissant le seuil des procédures d'aménagement de peine (de deux à un an pour les non récidivistes et d’un an à six mois pour les récidivistes les seuils d’emprisonnement, Article 7). La loi Dati de novembre 2009 permettait au contraire l'aménagement immédiat des peines, mêmes lourdes. Une disposition supprimée désormais. La loi Taubira ne prévoit pas non plus de de libération automatique des délinquants. Elle supprime les peines planchers, mais pas la détention de sûreté.
Elle promeut l'individualisation des peines, et créé une nouvelle sanction qui s'ajoute aux autres, "la peine de contrainte pénale" (article 8), qui ne concerne que les délits punissables d'une peine de moins de 5 ans de prison. Cette contrainte pénale est notamment assujettie à une obligation de "réparer le préjudice causé a à la victime". Mais nos furibards de droite n'écoutent pas. Des tribunes de l'Assemblée aux plateaux radiotélévisées, ils ne lâchent pas l'affaire.
Mercredi, Christian Estrosi, député-maire UMP de Marseille, éphémère ministre de Nicolas Sarkozy qui abusait de formules creuses et de voyages en jets payés par la République, fustige sur France inter cette nouvelle loi Taubira qu'il qualifie de "loi de liberté pour délinquants". Sur sa page FaceBook, des cohortes de racistes contre la Garde des Sceaux lui apportent leur soutien.
"Avec la contrainte pénale, vous ouvrez grand les portes et les fenêtres des prisonsVirginie Duby-Muller (députée UMP).
Si Christiane Taubira réactive aussi facilement les haines et le racisme, les chantres de la droite furibarde n'ont jamais voulu assumer leurs échecs en matière de lutte contre la délinquance. Ils n'ont même pas assumé la gigantesque bourde administrative du gouvernement Villepin, découverte l'été dernier, qui a failli faire libérer quelques milliers de détenus. Même la récidive a augmenté sous Sarkozy. Depuis 2002, le taux de personnes condamnées en état de récidive légale est passé de 4,9 % à 12,1 %.
Jeudi, l'un des 700 amendements déposés par l'UMP suggère d'exonérer la délinquance en col blanc de toute peine d'emprisonnement. Dans un autre, Frédéric Lefevbre (UMP) ose écrire: "la délinquance en col blanc, la délinquance financière n?a rien à faire en prison." Remous dans les tribunes, le groupe UMP se désolidarise. Confronté à cette saloperie par Jean-Jacques Bourdin sur RMC, Christian Jacob, le patron des députés UMP, bafouille.

La France politique est en vrac. 
Avant ses agapes normandes, François Hollande livre une tribune précipitée à la PQR pour préciser les contours du redécoupage régional qu'il entend proposer au Parlement. Même le nombre de régions n'a été calé que la veille ! Hollande prend aussi le risque de figer un schéma, qui a une certaine logique, plutôt que de laisser à des référendums locaux ou au Parlement le soin de décider de leur rapprochement.
A Paris, Michel Sapin s'enferre à justifier un Pacte de responsabilité qui finit par inquiéter la CFDT. Laurent Berger est réélu patron de cette centrale syndicale, avec un quitus à 85%...
A droite, Dominique de Villepin appelle au retour de Nicolas Sarkozy. On croit rêver. François Fillon prévient que cet éventuel retour à la tête de l'UMP provoquera un "affrontement sanglant". Il suffit d'un sondage plaçant Sarkozy derrière Juppé pour que Brice Hortefeux, l'ancien ministre de l'identité national de Sarkofrance (saison 1) affirme haut et clair que le retour de Sarkozy est désormais une "nécessité politique".
Une nécessité pour qui ? Pour le sauver des juges ? 
Aux côtés d'une droite à nouveau furibarde et excessive, la gauche d'opposition lourde ou légère tente de compter ses divisions. Les écologistes appellent les autres partis de gauche (et du centre)à discuter pour transformer le collectif budgétaire de l'été et la loi de décentralisation. Il y a du boulot. Le gouvernement Valls a encore expulsé la transition énergétique de ses projets immédiats, par "manque de moyens pour la financer".  La loi n'aura pas lieu avant le printemps prochain. A quoi sert finalement Ségolène Royal ? De l'argent, le gouvernement sait en trouver. Michel Sapin vient de se féliciter des "40 milliards d'euros de baisse de charges".

Des appels à l'homme providentiel aux attaques racistes contre une ministre de la République, cette semaine ressemble furieusement à une triste période que le D-Day célébré ce 6 juin avait pourtant terrassé il y a 70 ans.


Crédit illustration: DoZone Parody