Il y a quelques lustres, le peintre Yvon Taillandier créait un monde imaginaire « Le Taillandier-Land ». Ses habitants ne disposaient pas vraiment du même nombre de bras, de jambes ou de têtes que les humains; leur comportement, leur langage réservaient des surprises. Heureusement un dictionnaire du Taillandier-Land mis à disposition par le peintre permettait de s'y retrouver.
Aujourd'hui, un artiste d'une autre génération poursuit un projet aussi déraisonnable : créer un monde nouveau à partir de ses propres rêves. Laurent Godard a en effet donné la vie à un village imaginaire : Flateurville.
Les "Carré-ronds"
Les "Carré-ronds"
Au-delà de l'univers d'Yvon Taillandier, celui de Laurent Godard se déploie sur de véritables territoires. L'artiste démiurge a en effet investi des lieux disponibles pour donner une réalité à son acte créatif : une ancienne tannerie à Essaouira au Maroc, une ferme ostréicole à l'île de Ré, une tour HLM à New York, un château en Bourgogne ou la piscine Molitor à Paris. Résolvant la quadrature du cercle ( "Droiture du carré, douceur du rond") les habitants de ce village les "Carré-ronds" sont identifiables par leurs curieuses paires de lunettes. L'artiste, s'il peut revendiquer le titre d'arracheur de dents, camoufle cette redoutable qualité sous d'autres casquettes : peintre, cinéaste, écrivain, comédien. Flateurvillle devient dont cette scène mobile, variable, polyvalente sur laquelle il déploie par tous moyens son énergie créative.
Comment obtient-on un passeport pour Flateurville ? Apparemment assez facilement dès lors que l'on veut bien porter son intérêt pour cet Etat dans l'Etat. Une fois franchie la frontière de Flateurville, on peut demander la citoyenneté flateurvilloise voire même accéder au titre de "flateur" participant à la réflexion et à l'écriture du manifeste car l'ambition de Flateurville est de construire un monde meilleur.
Aujourd'hui ce pays a annexé un nouveau territoire, celui de la galerie Fatiha Selam à Paris. Là, Laurent Godard y présente ses dernières peintures bichromes. Il a même créé l'évènement en y produisant une performance : une action-peinture que n'aurait pas désavoué Pollock mais dans un dripping figuratif cette fois.
Action Laurent Godard Galerie Fatiha Selam Paris 2014
Tous les moyens sont bons pour donner corps à ce projet : "Flateurville est une invitation à la réflexion, un outil de travail, une zone de ralliement possible pour tous ceux qui veulent un monde plus doux, plus équitable, plus droit, pour tous ceux qui veulent combattre le mal évident que trop d'intérêts en jeu, trop de lobbies empêchent d'éradiquer." Difficile de ne pas souscrire à un tel programme même si le combat contre les "pecnocrates" n'est pas gagné d'avance.
Une utopie vivante
Le mérite de Laurent Godard est vraisemblablement d'avoir su trouver l'excellente idée directrice de cette expression multiforme, le fil rouge d'une création dans laquelle tout est possible, le lieu géométrique d'une dynamique qui renforce, après chaque nouvelle expérience, son propos, son objectif. Avec la peinture, le film, la musique, la performance, il met en scène avec Flateurville une utopie vivante qui peut devenir véritablement collective et prometteuse pour peu que les partisans d'une guerre picrocholine ne vienne pas décourager les "Carré-ronds".
Postulons donc pour la citoyenneté Flateurvilloise avec l'espoir que l'art puisse changer le monde. Laurent Godard n'aura pas trop de toutes les énergies de ses concitoyens Flateurvillois pour voir poindre le jour où reculeront les forces de la "pecnocratie".
Laurent Godard
"Portraits bichromes"
Du 22 mai au 14 juillet 20104
Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon
75003 Paris