Voilà une question existentielle — comme je les affectionne — pour le moins sensible. Mais qui n'est même pas de mon fait : en la posant, je m'apprête en réalité à répondre à une suggestion de billet que l'on m'a adressé à la suite de diverses péripéties communautaires ces dernières semaines (débats sur la page de requêtes aux administrateurs (RA), sur le bulletin des administrateurs (BA), ou encore quelques contestations du statut de sysop). Ces derniers temps, trois questions en particulier ont semblé cristalliser un certain nombre de tensions : comment prendre la décision de blocage d'un contributeur chevronné, la modération des pages communautaires (en particulier le BA et RA) et, enfin, l'extension des prérogatives des administrateurs en y ajoutant la possibilité de décider de sanctions moins globales que le simple blocage, en particulier un topic ban (c'est-à-dire l'interdiction pour un contributeur d'éditer certaines pages en particulier uniquement, pages bien entendu prédéfinies).
La première interrogation n'a rien de nouveau. Poids communautaire et prime à l'ancienneté obligent, le blocage d'un contributeur autopatrolled, et éventuellement présent depuis longtemps, a toujours nécessité bien plus de délicatesse, et suscité bien plus de tensions potentielles, qu'une sanction frappant un simple vandale de passage. Surtout quand la politique et l'affect s'en mêlent. Un usage plutôt bien établi depuis quelques années veut que ce genre de mesures soient prises de manière collégiale (par exemple avec un joli tableau sur le BA), que ce soit pour prendre la décision ou pour la contrôler a posteriori, afin justement de désamorcer les tensions dont je parlais, et aussi parce qu'il est probable que la sanction d'un contributeur bien implanté soit motivée par un problème qui n'a rien de trivial (en principe, un tel Wikipédien ne se met pas à écrire "pipi caca" sur les articles ...), et dont l'examen doit donc, de préférence, être réalisé par plusieurs personnes. Je dirais même par plusieurs points de vue. Il est vrai que, ces derniers temps, la collégialité n'a pas toujours été automatique. Et qu'on retrouve souvent les mêmes administrateurs à avoir agi de manière plutôt unilatérale. Maintenant, il est vrai aussi que ces administrateurs sont ceux qui s'intéressent encore au traitement des requêtes, espace de plus en plus déserté par nombre de sysops. Sont-ils vraiment trop autoritaires, ces admins, ou leur attitude moins multilatérale n'est-elle pas avant tout la conséquence de leur isolement de fait par leurs collègues aux abonnés absents ? Pourquoi, c'est vrai, demander leur avis aux autres admins s'il est probable que ceux-ci n'apporteront même pas de réponse ? Je ne suis pas certain de la réponse à ma question (je dirais bien "oui mais", comme un bon Normand). Mais je continue de penser qu'il faudrait toujours, autant que possible, privilégier le collectif et la collégialité à l'action individuelle et unilatérale. Surtout sur un projet fonctionnant au consensus.
Le deuxième cas me semble plus discutable. Sans témoigner d'une véritable visée autoritariste des administrateurs, mais plutôt d'une volonté de favoriser énergiquement la paix des ménages et la lisibilité des requêtes portées à leur attention, le pouvoir de modération des espaces RA/BA, que les sysops ont mis en place il y a à peu près un ou deux ans, peut évidemment poser des problèmes d'application. Il est déjà une entorse à un principe de base : l'égalité des contributeurs les autorisant, sauf exception légitime, à intervenir partout où ils le veulent. On peut toujours arguer qu'il s'agit ici d'une exception légitime, il n'empêche que son applicabilité dépend volontiers du sens du vent, de l'âge du capitaine et de la subjectivité des uns et des autres, et qu'il n'est pas impossible qu'un certain nombre de péons puissent en concevoir une certaine amertume, surtout dans le cadre d'un modèle participatif. De là à y voir de l'autoritarisme chez les admins, il y a un pas. Mais, ce qui est sûr, c'est qu'elle donne l'impression que les admins souhaitent avant tout traiter les choses dans leur cénacle fermé. Pourtant, la communauté leur donne des jolis boutons, mais pas le pouvoir de fonder s'ériger en conseil des sages ... Bref, je ne suis pas très emballé par le principe de la mesure (et je ne trouve pas qu'elle ait arrangé les choses) même si elle n'est pas forcément le symptôme d'une dérive qui tendrait à devenir préoccupante. Je pense qu'elle est avant tout la marque d'une approche pragmatique, quand bien même sa mise en œuvre peut souffrir de certaines maladresses.
Et c'est — quelle belle transition — la même conclusion que je ferai à propos du troisième problème actuellement débattu autour du rôle des administrateurs : le (nouveau) pouvoir du topic ban, dont la nature a suscité des débats (et des désaccords entre les admins eux-mêmes) à l'occasion d'une énième section du BA consacrée à Patrick Rogel. Même conclusion puisque la dimension pragmatique de ce nouvel outil dont souhaitent se doter quelques administrateurs est évidente : il s'agit de pouvoir appliquer une alternative au blocage général, bête et méchant, lorsque le problème est circonscrit à un domaine en particulier. Dans un certain sens, le pouvoir des administrateurs s'en trouve presque réduit dans son effet. C'est intéressant et pragmatique donc, mais là aussi terriblement maladroit sur la forme. Je pense en particulier à Akeron qui semble avoir voulu passer en force pour imposer la légitimité de cette mesure. Mais légitime, elle ne l'est pas. Kelam et SM ont mis le doigt sur le gros problème de forme : il n'y a pas d'aval de la communauté pour cela alors que la possibilité d'une telle mesure ne figure pas dans les fonctions des administrateurs. SM a raison de souligner que, puisque les administrateurs n'ont pas d'outil technique pour appliquer un topic ban, ils n'ont aucune raison d'en décider de la pertinence ... Sauf si la commnauté donne cette autorisation. Il a été pète-sec (comme souvent), ce qui nuit à l'efficacité de son message, mais il avait raison sur le fond, et j'ai surtout eu le sentiment qu'il tendait exprès, justement, une perche énorme en parlant de la possibilité d'un sondage (qui serait — ou pas — dans les starting-blocks). Akeron ne l'a pas saisie, tant pis pour lui. Et tant pis pour Patrick Rogel qui s'est donc retrouvé intégralement bloqué, pas seulement sur les PàS.
Pour terminer, je formulerai tout de même une observation plus générale. Je ne crois donc pas que les administrateurs soient, dans leur ensemble, devenus des tyrans (il y en a peut-être deux ou trois qui ont la grosse tête mais ça n'a rien de nouveau ...). Mais il est vrai aussi qu'un certain nombre s'autorise plus d'audace dans les idées ou dans l'application de mesures. Je me demande si, paradoxalement, ce n'est pas un effet (pervers ? En tout cas paradoxal) de la mise en place de la procédure de contestation. On a pu considérer qu'elle pouvait conduire à inhiber, donc à paralyser, les administrateurs dans leur action. C'est parfois vrai mais il y a aussi eu la conséquence inverse : certains administrateurs, très clairement, se disent désormais qu'ils peuvent presque tout se permettre et que, si ça ne va pas, on n'aura qu'à les contester. "Conteste-moi si tu n'es pas content" est d'ailleurs devenu une réponse assez courante dès lors qu'une de leurs actions est critiquée. Et c'est peut-être surtout là que réside un possible risque de dérive ...