Le "reflux" du nourrisson a fait couler surement autant d'encre dans les revues médicales ou les magazines de puériculture que de lait sur les bavoirs des bébés. L'appellation médicale de "reflux gastro-œsophagien" (ou " RGO ", cela fait encore plus branché) recouvre des réalités différentes selon que l'on est mère de famille, concierge, délégué médical, pharmacien, ostéopathe, médecin, homéopathe, pédiatre (ou encore mieux gastro-pédiatre), professeur et donc enseignant, voire « expert ». Il inquiète les parents, alerte les professionnels de santé et fait la joie de l'industrie pharmaceutique chargée de promouvoir des laits et des traitements « anti-reflux ».
On peut très grossièrement tenter, selon les plaintes décrites par les parents et les biais de recrutements des soignants parler du "reflux des villes" (les reflux pathologiques prouvés par les données de la science hospitalière) ou du "reflux des champs" (les reflux des régurgiteurs et autres nourrissons souffrant de ces «coliques» pluri-quotidiennes du premier trimestre de vie). Même les « psys » ont leur idée sur ce sujet, en insistant sur l'aspect psychosomatique de certaines de ces manifestions (rejets oraux parfois prémices d'une interaction langagière mère-enfant selon Françoise Dolto).
Il faut savoir se rappeler de façon très humble que ces recommandations d'aujourd'hui seront les erreurs de demain comme les dites "reco" d'hier sont maintenant devenues les erreurs de ce jour. Lorsque l'on revisite les glorieuses années du Prépulsid, on retrouve les "reco" officielles de ces experts qui écrivaient que cette classe de médicaments avaient acquis une place définitive dans le traitement du reflux… A tel point que ce marketing avait réussi à convaincre une majorité de soignants que cette molécule devait être proposée en première intention chez les régurgiteurs simples, où réassurance et laits épaissis ne suffisaient plus. Le devenir de cette prescription a eu les suites que l’on sait, avec un retrait motivé par des accidents cardiaques et malheureusement quelques décès.
Encore actuellement, les gastro-pédiatres ne tiennent pas forcément le même discours, hésitant à promouvoir des molécules inhibant les secrétions gastriques acides, leurs recommandations résultant d’un accord professionnel à minima. Tandis que l’industrie agro-alimentaire nous vante ses laits épaissis ou au bifidus, la pharmacienne vend sa Calmosine ou autres plantes. La nourrice conseille la « pâte rose » que l’on met sur la tétine. Quant au médecin de terrain, il finit trop souvent par craquer et prescrire la molécule à la mode, l’Inéxium, afin de tenter de soulager ces pleurs qui renforcent la dépression maternelle et/ou son sentiment de mère pas "suffisamment bonne".
Les temps changent, les « coliques du nourrisson » ont fait place au reflux. Mais même au pays du reflux, tout n'est pas si clair ni si carré qu'il n'y paraitrait.
On peut, néanmoins, en première intention, donner quelques conseils de bon sens. Tout bébé régurgite plus ou moins, vomit parfois, c’est normal. Régurgitation n’est donc pas synonyme de reflux ni de maladie. Tout bébé pleure, cela exprime un besoin ou parfois une douleur. Tout bébé qui pleure n’a donc pas forcément mal et donc des « coliques » ou un reflux. Cela peut être lié à la faim, à la difficulté à s’endormir ou à se sentir en sécurité. Pour minimiser les problèmes digestifs, on recommande d’alimenter les bébés à la demande sans perturber leur sommeil, de ne jamais les forcer ni prolonger les tétées. La digestion immédiate est favorisée par un portage en position verticalisée ou parfois ventrale. La "valse des laits" ne sert habituellement à rien même si le marketting le prétend.
Les pleurs doivent être d’abord pris en chargepar les bras des parents, le bercement, la voix, la musique, les berceuses, parfois la tétine, tout ce que les "psys" nomment la "fonction contenante". Si ces mesures de première intention sont régulièrement défaillantes, un avis et un accompagnement médical s’imposent bien sûr afin de ne pas passer à côté du reflux authentique, mais en essayant d'éviter aussi de médicaliser et de traiter uniquement les pleurs d'un bébé qui n'a pas forcément toujours de douleurs de reflux.
Dominique LE HOUÉZEC