Jeune et jolie est le nouveau film de François Ozon qui sera projeté en salles dès le 6 juin au Québec. Le titre fait référence à Isabelle (Marine Vacth), une adolescente de 17 ans qui se lance dans la prostitution. Bien qu’elle ne tombe pas toujours sur les meilleurs clients, elle accumule les rencontres jusqu’à ce qu’un jour, l’un d’eux trépasse pendant l’acte. Mais elle a tôt fuit l’hôtel que la police la retrace et expose son « secret » à ses parents. Sa mère Sylvie (Géraldine Pailhas) et son beau-père Patrick (Frédérick Pierrot) qui ne se doutaient de rien tombent des nues. Dès lors, tous tentent de comprendre pourquoi elle l’a fait, mais les réponses sont bien difficiles à trouver. En nomination à la Palme d’Or à Cannes en 2013, Jeune et jolie est un des films les plus déconcertants d’Ozon, en grande partie parce qu’il nous donne peu de réponses à une situation pour le moins troublante. Ce long-métrage n’en est pas moins fascinant puisqu’il nous confronte à une jeunesse de plus en plus « en ligne » et de plus en plus déconnectée de la réalité diront certains… avec ce résultat.
Pourquoi?
Jeune et jolie est divisé en quatre saisons ; quatre périodes bien distinctes dans l’évolution d’Isabelle. On commence avec l’été alors que toute la famille est en vacances au bord de la mer. La protagoniste semble avoir le béguin pour Félix (Lucas Prisor) et c’est ce jeune Allemand qu’elle connait à peine qui lui fera perdre sa virginité. Isabelle ne semble y prendre aucun plaisir et le lendemain, lui parle à peine. L’automne amorce le retour en classe, mais c’est à cette saison qu’elle commence à se prostituer. Elle accepte toutes les offres, peu importe les clients, du moment qu’ils paient. Encore une fois, elle n’y prend aucun plaisir, sinon qu’elle apprécie de plus en plus la compagnie de l’un d’eux : Georges (Johan Leysen), dans la soixantaine, père et deux fois marié. Après son décès, les caméras de surveillance ont capté des images d’Isabelle s’enfuyant et la police exige des explications. Survient l’hiver. Comme elle est mineure, c’est une véritable inquisition qui commence, de la part des policiers, des parents et du psychologue. Entre-temps, elle s’essaie à une relation amoureuse « normale » avec Alexandre (Laurent Delbecque), un garçon de sa classe, mais sans succès. Puis, le printemps arrive et Isabelle accepte de rencontrer quelqu’un lié à Georges, ce qui donne un résultat aussi inusité qu’inattendu.
Au Canada, CTV diffuse la deuxième saison de la captivante Motive, déjà renouvelée pour un troisième opus. Cette série policière débute et immédiatement, on nous désigne le tueur et sa victime. Le but de chaque épisode est de comprendre ce qui a poussé le meurtrier à agir de la sorte, ce qui donne une possibilité infinie de scénarios qui nous tiennent toujours en haleine. Jeune et jolie procède un peu de la même façon, mais comme il est écrit dans cette critique des Inrocks : « Jamais Ozon ne psychologise, ne juge, ne plaint, ne compatit ou n’explique. » C’est donc au téléspectateur de tirer ses propres conclusions et la tâche n’est pas facile. D’entrée de jeu, ce n’est pas pour l’argent puisqu’elle est issue d’une famille aisée et sa mère n’hésite pas à lui en donner lorsque nécessaire. C’est encore moins pour attirer l’attention puisqu’elle ne parle de sa seconde vie à personne, pas même à sa meilleure amie. Enfin, ces escapades ne sont pas l’œuvre d’une nymphomane puisqu’elle n’y prend aucun plaisir. Nous voilà donc à court d’arguments… Il ne reste plus qu’à tenter de comprendre l’évolution de la sexualité chez les jeunes.
Le pouvoir du selfie
Les enjeux éthiques liés à la sexualité ne cessent d’être remis en question à mesure que la société évolue. Si dans les années 60-70, les femmes se battaient pour obtenir le droit à la contraception ou à l’avortement, plus récemment au Canada, certains groupes se sont mobilisés afin que le gouvernement légalise la prostitution. Qu’on soit d’accord ou pas, jamais ce genre de requête n’aurait accaparé l’actualité il y a quelques décennies, tout comme le droit au mariage homosexuel. Dans la même veine, l’arrivée d’internet a modifié considérablement la perception de la sexualité chez les jeunes. Ils ont accès facilement à de la pornographie en ligne et dans une société qui valorise à l’extrême l’apparence, comment s’étonner que des adolescents se prêtent aussi au jeu de la séduction… comme les « grands »? Webcams, cellulaires : en quelques clics, un selfie osé se retrouve sur la toile et bien qu’ils enfreignent la loi, les mineurs s’y prêtent allègrement. Dans Jeune et jolie, on voit dans plusieurs scènes Isabelle consommer de la pornographie, monter et alimenter elle-même un site visant l’autopromotion… de ses services. Dans son article, Isabelle Regnier y va de cette (juste) affirmation : « la prostitution est à la portée de toutes les jeunes filles. Pour Isabelle, cette pratique avilissante prend la valeur de l’acte destructeur et subversif par excellence, par lequel naître au monde comme individu autonome. »
Dans le film, l’autonomie pure et simple passe par celle du corps. Isabelle est séduisante et elle le sait. Sa beauté attire des hommes, quelques soient leur âge et ils sont même prêts à payer cher pour sa compagnie. La prostitution ici n’est ni plus ni moins qu’une forme de narcissisme chez la protagoniste. Mais après qu’elle ait transgressé ce tabou qui lui apporte du pouvoir, c’est la société qui tente de la culpabiliser, à commencer par sa mère. Elle est bien entendu sous le choc lorsque la police l’informe de la double vie de sa fille, mais ce qui est pire pour elle est que sa progéniture n’exprime aucune honte ou regret. Pire, on dirait qu’elle entre en cure de désintoxication depuis qu’on lui interdit ses rendez-vous. Du coup, il est impossible pour le spectateur de voir en Isabelle une victime d’hommes sans scrupules qui profitent d’elle, et ce, bien qu’elle soit mineure. Et c’est justement ces pouvoirs qui sont inversés qui dérangent tant dans le film.
Lors de sa première en France, Jeune et jolie a occupé la première place au box-office; un succès bien mérité. Isabelle est en quelque sorte l’extension du personnage de Julie (Ludivine Sagnier) de Swimming pool (2003). La première était plantureuse, rebelle et accumulait les relations sexuelles, mais dans le but d’attirer l’attention d’un père absent. Isabelle use de ses charmes, mais pour sa propre satisfaction. On ne peut blâmer ses agissements sur les autres ou affirmer qu’ils sont dus à un quelconque traumatisme. Est-ce à dire qu’elle incarne une sorte de modèle de femme de l’avenir? La seule idée d’y penser fait frémir et c’est là toute la force du film.