De bonnes surprises comme de moins bonnes pour ce jeudi soir, ouverture du festival de rock indé désormais reconnu : Les Indigènes. Arrêt sur la frise installée dans le hall. On y voit défiler selon les éditions les noms qui ont fait et défait les genres au cours des décennies : New Order par là, Aphex Twin par ci, suivi par The Cure qui côtoie Nirvana, plus très indé tout ça mais ok les gars on plussoie, la blague fait son effet.
21h15, salle maxi, Paus s’installe. Groupe « pop-métal » portugais depuis 2010 et qui a pris une orientation plus « Foals » sur les dernières productions. Mais comme on ne tient pas à réduire chacun à son symbole d’accessibilité « populaire », on fait le choix, après expérience, de les hisser comme jeunes représentants d’une nouvelle vague indé que l’on pourrait qualifier de « Noise wave ». Les caractéristiques de ce mouvement au delà des expérimentations capillaires ? Une présence insistante des percussions qui dirigent significativement l’ensemble et n’hésitent pas à s’attarder sur de longues phases oniriques, le tout soutenu par des accords de guitares fuyants. Le style est singulier, pour la simple raison qu’il passe d’un genre à l’autre en quelques secondes, devenant l’emblème d’une volonté de rendre à chaque instrument une identité forte. Par ce biais, chacun a droit à son instant de gloire aux commandes de ses machines. Paus offre un jeu « démocratique » et, à en croire le respect quasi religieux des spectateurs, cela a encore le don d’en faire rêver une bonne partie. L’alternance est un crédo qui s’impose systématiquement, mais cette mise en scène d’une exploration de l’instantané par les quatre musiciens assidus n’est pas menée sans motifs récurrents, avant tout conditionnés par la disposition scénique. L’intention est transparente, et cela avant même que sortent les premières mesures. Notamment montrée par la place de la batterie – la reine des compositions trône au milieu de la scène – sur laquelle s’affairent les deux musiciens, magnifiés par un stromboscope léger, en grande cohérence avec leur application sincère et mesurée. La concentration et l’acharnement de chacun, sans fausse cohésion des membres ou symbolique trop orientée, mise sur un aspect mécanique de l’ensemble : lorsque le micro est saisi par les quatre musiciens, ce sont des bouches de pantins acharnés que sortent des vocalises empruntes d’une forte mélancolie. Les différentes hauteurs qui sonnent presque folklore relèvent les influences tropicales des instruments, mais la voix reste toujours soumise, tant à l’harmonie maîtresse qu’aux apparentes libertés des variations. Un set très beau donc, bien que parfois trop orienté dans des domaines précis, au sein desquels les musiciens ne lâchent pas assez leur bout de viande – le guitariste reste dans sa symphonie métal plutôt agressive pour nos petits tympans, voire désagréable. La formation inhabituelle ne doit pas tout faire et plonger dans un travail d’ambiance plus « énergétique » qu’il maitrisent (un peu trop ?) et insister sur l’aspect organique des pièces proposées ne serait pas de mauvais goût. Il s’agit bien entendu d’une réussite, de ces groupes indé extrêmement précis dans tout ce qu’ils entreprennent, menés « à la baguette » et dont les productions s’emballent et donnent l’impression de planer au dessus de toutes les autres, pour le moment en tout cas.
Deuxième coup de cœur, en salle mini cette fois-ci aux alentours de 22h30. Vundabar, au premier coup d’oeil, rempli l’audience de scepticisme, mais pour une très courte durée. Ils sont jeunes, en effet, voire très jeunes, mais qu’attend-t-on aujourd’hui du rock indé ? Il y a sans hésiter le désir de s’attarder sur cet « indie-surf-garage » comme on se plait à le définir, genre qui nous fait sortir d’une salle de concert avec le même sourire qu’après un mois de vacances au soleil. Et lorsqu’il est tout neuf, encore tendre et poreux, il n’en est que plus délicieux. Les trois musiciens de Vundabar ont l’allure des Kids de Larry Clark, mais la musique comme exutoire les rend doux, attendrissants. Lorsque les guitares miaulent davantage folk que garage, elles extirpent aux gamins un sourire tellement sincère et communicatif que les larmes nous montent au yeux, ravis par ailleurs de reconnaître une réelle puissance acoustique, un sens aiguisé de l’harmonie et du dansant à cet age. Les Vundabar sont merveilleux (le «We are Wunderbar ! » entre chaque morceau brille de candeur et de vérité) au sens le plus ésotérique du terme. La magie filtre entre la scène et son public, l’invisible est joie dans ce vide remué de sentiments forts. Les réactions le prouvent : elles sont épidermiques. La ligne de basse-guitare très énergique, celle-ci même empruntée aux maîtres du garage US, engendre chez les trois bébés John Dwyer frénésie enivrante et aisance dans la progression. C’est donc la bonne « force tranquille » qui s’éveille ici. Les pointes d’agressivité restent très agréables lorsqu’elles frappent à la porte d’un post punk sans prétention aucune. Les voix, quant à elles, sont spectaculaire : ce qu’il faut de nasillardes, de réverbérées, de lo-fi, toujours d’une justesse incroyable. Le ton dosé au poil conforte l’engouement des premières notes et la polyvalence des trois mignons reçoit des acclamations. Pas de trop psyché ni de trop sixties chez les Vundabar, ils évoluent dans le temps qui leur convient, c’est à dire le présent que leur offre la scène. Qu’ils y restent le plus longtemps possible pour notre plus grand bonheur.
Autre style, autre réaction : Comment peut-on se nommer Le Feu et produire quelque chose qui ressemble à l’antithèse de la caractéristique principale du dit élément : aucune fougue, aucune phase instrumentale relevant d’une quelconque recherche, et surement pas une forme d’ambiance chaleureuse qui se dégagerait de l’ensemble. Les musiciens semblent par ailleurs partager notre ennui, figures renfrognées tenant leurs instruments comme des boulets à leur cheville. On ne croit pas au fait que cet état contemplatif vienne soutenir le « Velvet Underground revival »dans lequel le groupe s’engouffre, quitte à y perdre toute forme de charisme. Les autres groupes programmés sont le résultat d’un choix pour le moins étrange. On relèvera chez les Woodentops la chemise en satin du papa-chanteur aux vraies attitudes de papa-chanteurs et cet écart énorme avec la casquette et le t-shirt tye and dye de son batteur, ajouté à une pianiste immobile face à son synthé eighties. Regard aux alentours : en quelques secondes la salle s’est vidée de sa part de bobos, remplacés par des fans conquis qui l’auraient été tout autant à voir le groupe se démener dans un pub au fin fond de l’Angleterre, mais disons le, on aurait pas fait le déplacement.
Les Indigènes demeure de ces festivals auquel on voue un culte mitigé : il est facile de parler de musique indé autant qu’il est ardu de prendre de réels risques dans une programmation de ce type. Digne reconnaissance pour les efforts produits : Les choix du petit Primavera sont cohérents (rockéhents ?) et chacun parvient tant bien que mal à tendre sa bannière sous celle si reluisante de l’indépendance.