L'Afrique est largement considérée comme ayant fait le moins de progrès dans la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. Une grande partie de la discussion en cours est axée sur la recherche d’objectifs justes, significatifs, transversaux et réalisables, ainsi que des moyens pour en évaluer les progrès d’exécution, qui soient pertinents aussi bien pour l'Afrique que pour d'autres régions en développement.
Dans notre débat actuel sur le cadre pour remplacement des Objectifs du Millénaire pour le développement (venant à échéance en 2015), nous avons besoin de sélectionner soigneusement les objectifs, les cibles et les indicateurs qui guident le mieux la lutte contre la pauvreté et les inégalités et qui permettent de mieux mesurer les progrès accomplis ; plutôt que des objectifs, des cibles, ou des indicateurs qui sont moins significatifs mais peuvent être mesurés assez facilement.
Bien que nous reconnaissions qu'il est souvent très difficile de mesurer de façon fiable ce qui est vraiment important, nous devons et pouvons mieux faire. Prenez par exemple les droits fonciers sécurisés pour les femmes et les hommes. Il y a un nombre grandissant de voix - y compris les gouvernements, la société civile, et d'autres dirigeants du monde - appelant à inclure cette question explicitement dans l’agenda de développement post-2015. Car le renforcement de ces droits, en particulier pour les femmes, peut aider à atteindre les multiples objectifs de développement. Plus récemment, on a identifié les droits et l’accès à la terre, à la propriété et aux autres actifs et ressources comme une question transversale fondamentale et une préoccupation prioritaire dans quatre domaines d’intérêt : l'éradication de la pauvreté, l'égalité des sexes, la sécurité alimentaire, et l’état de droit. L’objectif d'accroître et de renforcer les droits fonciers dans un ou plusieurs objectifs à l'ordre du jour dans l’agenda de développement post-2015 contribuera aussi fortement à la réalisation d'autres objectifs.
Mais pour nous assurer que nous puisions travailler sur des buts et des objectifs précis et percutants, nous devons mesurer les progrès de manière significative. Prenez les droits fonciers des femmes en particulier. On estime que 70 % des agriculteurs africains sont des femmes. La grande majorité ne possède pas formellement les terres qu'elles cultivent. En fait, leurs droits sur la terre sont souvent minés par une toile de traditions, de normes, de droits coutumiers, et de droits légaux discriminatoires et parfois contradictoires.
Alors, comment pouvons-nous mesurer les progrès en matière de sécurisation des droits fonciers des femmes ? Une approche pourrait consister simplement à regarder dans quelle mesure les lois d'un pays reconnaissent les droits des femmes à posséder, contrôler, et hériter de la terre. Les pays d'Afrique ont mis en place des lois qui affirment formellement l'égalité des droits pour les femmes en matière de propriété des terres et des biens. Une étape importante dans le renforcement des droits fonciers des femmes. Mais la réalité sur le terrain est bien souvent différente.
Considérons la situation des femmes au Ghana. En 1985, l'État a adopté la loi sur la succession « ab intestat » et la loi sur la responsabilité du chef du ménage afin de s’assurer que les veuves ne soient pas chassées des terres de la famille et que les femmes aient une voix dans les décisions concernant les ressources de la famille. Cependant, une étude réalisée en 2008 par l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations Unies (FAO), dans la région de Volta du Ghana, a constaté que la plupart des femmes ne connaissaient pas ces lois et peu d’entre elles en profitaient. Alors que l’évaluation des cadres juridiques peut être la voie la plus facile pour évaluer la sécurité des droits fonciers des femmes, il est aussi le moyen le plus risqué avec le potentiel de donner de fausses réponses. L'existence de lois, politiques et règlements protégeant les droits des femmes, ne signifie pas pour autant que les femmes exercent effectivement ces droits.
Étant donné que cette absence d’application n'est pas spécifique au Ghana, il y a de bonnes raisons de chercher un autre indicateur qui reflète mieux si les femmes ont en réalité des droits fonciers sécurisés. Un tel moyen sera de chercher des preuves documentées de ces droits sous forme de titres ou de certificats de propriété. Bien que n'étant pas parfaite, cette mesure pourra mieux révéler si les femmes profitent réellement de leurs droits sur le terrain.
Mais, qu’est ce que devrions-nous mesurer exactement ? Il y a une différence profonde entre la mesure de la proportion des terres possédées par les femmes et la mesure de la part des femmes qui ont un titre foncier ou tout autre document relatif à la terre. Au Ghana, par exemple, des études montrent que les femmes occupent des terres dans moins de 10 % des ménages et que seulement 1 % des femmes déclarent détenir un titre formel de propriété de terres agricoles.
Nous devons veiller à ce que les efforts actuels pour formuler une nouvelle voie à suivre et à identifier les dimensions manquantes des Objectifs du Millénaire pour le développement ne soient pas un exercice futile qui nous laisse avec une mesure de la richesse croissante des seules élites des pays en développement ou celle qui reflète la théorie plutôt que la réalité. Nous devons nous protéger contre la tendance naturelle à chercher nos clés au pied du réverbère parce que c'est éclairé et donc plus facile.
Pour s’assurer que le Ghana et d'autres pays en développement réalisent des gains en matière d'éradication de la pauvreté, d'égalité des sexes, de sécurité alimentaire, l’état de droit, et de protection de l'environnement, nous devons nous concentrer d’abord sur nos points sombres, braquer les projecteurs sur les aspects largement non mesurés, comme le pourcentage de femmes qui ont des titres relatifs à une série de droits sur la terre, afin de permettre qu'un nombre croissant de femmes aient des droits sécurisés et effectifs sur la terre et les autres ressources productives, et favoriser ainsi la voie de sortie de la pauvreté.
Tim Hanstad, Professeur de droit à l'Université de Washington School of Law. Un article initialement publié en anglais par African Executive – Traduction réalisée par Libre Afrique – le 6 juin 2014