La première place du FN lors des élections européennes est incontestablement le fait le plus marquant du scrutin du 25 mai dernier. Pour la première fois un parti d’extrême-droite est arrivé en tête des suffrages à une élection nationale en France. Ce scrutin a également été marqué par un autre record historique, celui de la faiblesse de la gauche : elle n’a recueilli que 34 % des voix, dont 32,44 % pour les partis de gauche « modérés » (13,98 % pour les listes PS-PRG, 8,95 % pour les listes EELV, 6,61 % pour celles du Front de gauche et 2,90 % pour celles de Nouvelle Donne) et 1,56 % pour l’extrême-gauche (0,39 % pour le NPA et 1,17 % pour LO). En 2009, la gauche avait rassemblé 45,32 % des suffrages (39,24 % pour la gauche modérée et 6,08 % pour l’extrême-gauche).
Les pertes sont surtout concentrées sur les écologistes, Europe Ecologie divisant quasiment son score par deux par rapport à la précédente élection. En effet, en 2009, les écologistes avaient réussi à se hisser au niveau du PS (16,28 % contre 16,48 % pour le PS). EELV subit donc une lourde défaite qui lui fait perdre plus de la moitié de ses eurodéputés. Cependant, il s’agit tout de même du deuxième meilleur score des écologistes aux élections européennes et, après sa sortie du gouvernement, EELV apparaît comme la deuxième force de gauche, devant le Front de gauche, dont le score reste stable par rapport à 2009 (6,48 %).
Le PS ne recule que très peu par rapport au précédent scrutin européen, où juste après le vote contesté pour la tête du parti au congrès de Reims, il avait réalisé un très mauvais score (16,48 % des voix). Il ne perd donc que 2,5 points mais passe pour la première fois au-dessous de la barre des 14 %. La large défaite des élections municipales est donc confirmée et l’impopularité du gouvernement s’est de nouveau traduite dans les urnes, malgré le changement de Premier ministre. Le PS est assez logiquement la première victime de cette insatisfaction, mais force est de constater qu’il entraîne avec lui dans sa chute toute la gauche, aucune de ses autres composantes n’arrivant à fédérer les déçus de la politique gouvernementale.
Parmi les votants, seul un ouvrier sur dix et un jeune de moins de 25 ans sur dix a choisi une liste PS
Si les résultats électoraux bruts portent déjà un lourde défaite pour la gauche, une analyse plus fine par catégorie de population dresse un constat encore plus alarmant, la gauche apparaissant particulièrement faible au sein des catégories les plus modestes, également les plus critiques à l’égard de la politique de François Hollande et plus particulièrement de sa politique économique.
Ainsi, seuls 3 ouvriers sur dix ont voté pour la gauche (31 %1 contre 41 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 selon le sondage jour du vote d’Ipsos). Et le PS n’est plus du tout dominant au sein de la gauche ouvrière, les ouvriers ayant tout autant voté pour les listes PS-PRG (9%) que pour le Front de gauche (9%) et plus étonnant, EELV (8%).
Chez les employés, le vote pour la gauche est à peine plus élevé (36%). En plus d’être très minoritaire, il apparaît en très net retrait par rapport à celui enregistré au premier tour de l’élection présidentielle (46 % des employés y avaient voté pour la gauche selon les données d’Ipsos). Les professions intermédiaires demeurent la catégorie socioprofessionnelle la plus ancrée à gauche (44 % contre 53 % à la présidentielle), devant les cadres, dont quatre cadre sur dix ont voté à gauche (39 % contre 45% au premier tour de l’élection présidentielle). Parmi ces trois catégories, le PS reste le parti de gauche réalisant les meilleurs scores, mais il y apparaît toutefois très faible (14 % parmi les employés, 16 % parmi les professions intermédiaires et les cadres). En outre, les écologistes y réalisent également de bonnes performances (de 9 % chez les employés à 12 % chez les professions intermédiaires et les cadres). L’écart global des voix en faveur du PS s’explique par la faiblesse des écologistes chez les retraités (seules 6 % de leurs voix se sont portées vers EELV contre 17 % pour les listes PS-PRG). Le Front de gauche enregistre également des scores supérieurs à sa moyenne chez les employés (8%) et les professions intermédiaires (9%), mais pas parmi les cadres (6%).
Par conséquent, dans la population active, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle, le PS a obtenu un score inférieur à celui de la somme de ces deux principaux concurrents de gauche, EELV et le FDG. La gauche socialiste ne dépasse son opposition de gauche que chez les retraités, ce qui lui permet d’être en tête auprès de l’ensemble des électeurs étant donné la meilleure participation électorale des plus âgés. En outre, au-delà de ses deux opposants traditionnels, notons également la percée notable des listes Nouvelle Donne, plus particulièrement auprès des catégories moyennes et supérieures (5 % parmi les professions intermédiaires et 4 % chez les cadres) et l’effondrement du NPA à l’extrême-gauche.
Autre élément marquant dans la sociologie du vote PS, sa faible performance auprès des jeunes. Si 17 % des plus de 65 ans et 16 % des 50-64 ans déclarent avoir voté pour une liste socialiste, soit plus que la moyenne nationale, seuls 9 % des 18-24 ans ont choisi le parti du président de la République. Parmi les 25-49 ans, le PS est également plus faible que parmi l’ensemble des votants (12 %). Selon les données d’Ipsos, ces deux tranches d’âge avaient accordé respectivement 29 % et 32 % de leurs voix à François Hollande au premier tour de l’élection présidentielle.
Chez les plus jeunes, le vote pour EELV a été plus important que le vote socialiste lors de ces élections européennes (14 % parmi les 18-24 ans, 15 % parmi les 25-34 ans). Le vote écologiste diminue ensuite quand on l’on s’élève dans l’échelle des âges, ne séduisant plus que 6 % des plus de 65 ans.
Une défaite largement due à l’incapacité de la gauche à mobiliser son électorat
Si des transferts de voix existent bien de la gauche vers la droite et l’extrême-droite, c’est surtout l’abstention différentielle qui explique la faiblesse de la gauche et parallèlement la force du FN. Ce phénomène a déjà été observé lors des élections municipales et des élections partielles législatives ou cantonales ayant eu lieu depuis l’élection de François Hollande. L’insatisfaction à l’égard du gouvernement a conduit une grande partie des électeurs du président et de sa majorité à boycotter le scrutin, tandis que l’opposition se mobilisait plus fortement.
Ainsi, 56 % des électeurs de premier tour de François Hollande déclarent ne pas d’être rendus aux urnes le 25 mai, ainsi que 59 % de ceux de Jean-Luc Mélenchon. La mobilisation des électeurs du centre et de droite a été nettement meilleure (47 % d’abstention parmi les électeurs de François Bayrou et 46 % parmi ceux de Nicolas Sarkozy au premier tour). L’électorat de Marine Le Pen a également nettement plus participé que celui de gauche (50%).
L’explication du score historiquement faible du PS tient donc à une faible mobilisation de sa base électorale mais également à un éparpillement de ses voix au profit d’autres partis de gauche. Seuls 52 % des électeurs de François Hollande qui ont participé au vote ont choisi une liste PS-PRG lors des élections européennes (alors que 61 % des électeurs de Nicolas Sarkozy ont voté UMP et 90 % des électeurs de Marine Le Pen ont réitéré un vote FN). 30 % ont préféré une autre force de gauche, principalement les listes écologistes (15 %), mais aussi les listes du Front de gauche (7 %) et de Nouvelle Donne (6 %).
Le changement de camp des électeurs de gauche est très minoritaire mais néanmoins significatif, d’autant plus que ce transfert de voix vers les forces de droite se fait massivement au profit du Front national, celui-ci étant donc parvenu à fédérer des mécontents venant d’univers très différents. 14 % des électeurs de François Hollande qui se sont exprimés le 25 mai ont voté pour la droite : 7 % pour le FN, 4 % pour les listes UDI-MoDem, 2 % pour l’UMP et 1 % pour Debout la République. Parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, le mouvement est plus faible (11 %) mais existe également : 6 % ont voté FN, 3 % UDI-MoDem, 1 % UMP et 1 % DLR.
Le constat est donc celui d’une forte dispersion de l’électorat ayant porté François Hollande à la présidence de la République : le PS n’est pas parvenu à conserver son électorat et aucune des autres forces de gauche n’est arrivée à récupérer massivement les électeurs déçus. Entraînée par l’impopularité du gouvernement, la gauche dans son ensemble chute et, lors ces dernières élections, elle n’a réussi à s’imposer dans aucune grande catégorie de population. Bien que le scrutin européen demeure très particulier du fait de la forte abstention qui le caractérise, ceci est vraiment de très mauvais augure pour la gauche pour les prochaines échéances électorales.
- Sauf mention contraire, les chiffres cités dans cet article correspondent à la moyenne des sondages électoraux d’Harris interactive, de l’Ifop, d’Ipsos, et d’OpinionWay [Revenir]