Editions City - Paru le 19 mars 2014 - 251 pages - 17.95 € - Pour l'acheter
- Résumé:
- Mon avis:
> Tout d’abord, le rapport de Léa Mauclère à sa maladie est assez déroutant.
C’est quand elle a commencé à vivre dans son propre logement, sans plus de contrainte parentale, qu’elle a "décidé" d'arrêter de manger. Dans les raisons qui ont pu la conduire à l’anorexie, elle évoque la maxime que répétaient régulièrement ses entraîneurs de gym quand elle était jeune: “il faut souffrir pour être belle”. Qui n’a jamais entendu ça? C’est atroce de voir comment de simples expressions qui peuvent paraître tout à fait innocentes peuvent avoir un réel impact.
Après de longs mois d’anorexie, Léa est hospitalisée pour reprendre du poids. Son corps résistait alors à peine aux privations extrêmes qu’elle lui imposait. A l’hôpital, les médecins ont essayé de lui réapprendre à se nourrir et à accepter de prendre du poids. Dans sa chambre, elle passait son temps à attendre le prochain repas. C’était là la seule véritable activité de la journée. L’ennui combiné au changement dans ses habitudes alimentaires l’ont conduit à se jeter sur le placard à nourriture de sa voisine de chambre, à vider paquet après paquet. Première crise de boulimie qui rythmera finalement sa vie pendant les années suivantes. Mais son aversion pour la prise de poids l’a amenée à vomir systématiquement toutes les calories ingurgitées lors de ces crises.
> J'ai été franchement surprise qu’elle considère la boulimie vomitive comme pire que l’anorexie. Mais maintenant que j’ai lu son témoignage, d’elle qui a connu et souffert des deux, je me rends compte à quel point elle dit vrai. Évidemment, l’anorexie est terrible mais comme elle le souligne: “ Aujourd’hui, je juge mon état [boulimique] bien pire qu’il y a cinq ans, et pourtant, il y a cinq ans, j’étais à l’hôpital avec interdiction de me lever. La seule différence, c’est que cinq ans auparavant, ma maladie était très visible, aujourd’hui, elle ne l’est plus.” p.126
L’anorexie s’affiche au monde, il n’y a pas moyen de la dissimuler quand elle devient trop grave. La boulimie par contre, on peut en souffrir pendant des années, seul dans son coin, la taire, sans que personne ne se doute de rien. Léa Mauclère a quand même eu la chance d’avoir été constamment entourée, même quand elle touchait le fond, quand sa maladie occupait chaque seconde de sa vie. Je n’arrive pas à imaginer comment les personnes qui n’ont pas de famille et qui ne parviennent pas à se sociabiliser (comme ça a été le cas pendant la première année de fac de Léa mais elle avait au moins sa colocataire pour l’obliger à rester connectée au monde et sa famille pour maintenir un lien affectif) peuvent sortir de cet engrenage. Plus on s’isole pour faire ses crises tranquillement, plus on se coupe de tout lien.
> J’ai trouvé Léa Mauclère plus sensible à sa propre souffrance dans la partie qui traitait de la boulimie que dans celle où elle relate ses débuts d’anorexique. Le facteur temps a probablement joué. Même si elle est retombée dans l’anorexie après avoir commencé à se faire vomir, j’ai eu l'impression qu’il s’était installé une certaine distance entre ses débuts de malade et le moment où elle a commencé à être suivie médicalement. C’est comme si elle était consciente de poser un regard plus objectif sur sa situation de l’époque. Elle expose moins ses sentiments, plus les faits et les explique/analyse en recherchant des causes/conséquences ce qui disparaît peu à peu pour se concentrer sur les ressentis. Mais comme je l’ai dit, cette mise à distance paraît logique vu qu’elle a vécu énormément d’autres choses depuis. Et ça permet d’ailleurs d’avoir un regard un peu plus médical sur la question. Il m’a semblé pour la suite qu’elle avait trouvé le juste milieu entre les explications factuelles, les détails morbides et les sentiments. En effet, quand j'ai lu Les kilos émotionnels, j’avais trouvé ma lecture inutile car totalement aseptisée. Le docteur n’ayant jamais expérimenté une relation conflictuelle à la nourriture, ses propos n’étaient pas portés par l’humanité qu’on trouve avec Léa Mauclère.
Par exemple, Léa Mauclère présente la boulimie comme une maladie qui conduit le patient à un comportement totalement déraisonnable. Entre autres, je me rappelle du recours au vol de nourriture à l’hôpital ou encore des détours par son appartement pendant la pause déjeuner à la fac juste pour pouvoir assouvir ses pulsions, ou encore les excuses pour s’éclipser pendant un repas familial. Je ne doute pas que Léa se soit sentie parfois pathétique à se comporter comme ça. C'est comme si on lui avait dit "mais il y a des gens qui meurent de faim dans le monde, et toi tu te fais vomir...". Comme si le malade ne se sentait pas déjà assez coupable.
> Je comprends pourquoi elle destine son livre à l'entourage des anorexiques et boulimiques. Certaines "techniques" pour se faire vomir (les pâtes sortent mieux quand elles sont accompagnées de mayonnaise en quantité) sont très précises et pourraient donner des idées à des personnes qui n'en n'ont pas besoin. Néanmoins, elle le dit elle-même, pour prendre conscience de sa situation il faut à un moment donné se retrouver confronté à ce qu'on est devenu.
Dans le livre, elle raconte sa rencontre pendant une hospitalisation avec un jeune homme de 40 kg pour 1m80. Elle explique qu'elle y a vu le miroir de son propre corps et de sa propre déchéance. Je pense sincèrement que ce témoignage peut avoir le même effet de confrontation directe avec la maladie. Ce témoignage pourrait permettre de déclencher une introspection sur sa propre expérience à travers le récit d'une personne qui a souffert de problèmes similaires. Néanmoins, ce livre aidera bien sûr les proches des malades en leur montrant ce qui se passe dans leur tête. Pour la boulimie notamment, il peut apprendre à déceler des signes physiques peu visibles au-delà des mensonges et des dissimulations, comme peut-être les marques des dents sur les doigts ou les détours fréquents dans la salle de bain.
> Si ce qui m'a le plus marquée dans ce témoignage est le caractère obsessionnel de cette maladie (ne plus passer ses journées qu'à manger et vomir),
“ Comment imaginer une telle vie: manger - vomir - manger - vomir, une éternelle boucle d’autodestruction, une perpétuelle mise à mort à petit feu.” p. 124
ma mère (48 ans) a davantage été émue par l'incapacité du corps médical à trouver des méthodes fiables et définitives pour enrailler ces troubles de comportement alimentaire. Léa Mauclère le montre bien dans son témoignage. Certains psychologues (ça semble rare) ne s'investissent pas auprès de leurs patients. Mais surtout, les thérapies et rééducations alimentaires ont une efficacité limitée à court terme comme à long terme. J'ai l'impression qu'elles servent surtout à limiter les dégâts en attendant une prise de conscience qui peut arriver du jour au lendemain et qui va modifier le comportement alimentaire.
> En conclusion, Léa Mauclère propose un témoignage choc sur l'anorexie et la boulimie. J'y ai trouvé exactement ce que je cherchais. Si c'est un sujet qui vous intéresse, tournez-vous plutôt vers ce témoignage que vers des essais. Les émotions jouent un trop grand rôle pour qu'on puisse bien appréhender ces maladies dans des textes vides de vécu.
Quelques citations marquantes :
“ La faim me fait délirer. La nuit, je ne rêve plus, sinon de chiffres ou de part de gâteaux qui veulent me dévorer. De toute façon, je dors très peu, mon esprit est incapable de se reposer. Je ne m’en inquiète pas. Au contraire, je trouve cela fantastique. Je peux passer plus de temps à lire et relire les œuvres au programme. Je peux aussi consumer davantage de calories que si j’étais endormie.” p. 36“Pendant que je me goinfre de pizza, de quiche et de fondant au chocolat, sans savoir si ce que j’avale me plaît ou non, je ne pense pas à quel point je me sens seule, vide et infiniment éloignée des gens qui s’amusent autour de moi.” p. 128
Merci aux édition City pour m'avoir permis de lire ce témoignage.
L'auteur a également donné une interview intéressante à 20 minutes que vous pouvez retrouver ici.