Révolution... en France ou en Europe?

Publié le 03 juin 2014 par Sof

Séisme, tremblement de terre, choc, 21 avril,... tous les superlatifs ont été utilisés par les médias pour définir le résultat des élections européennes en France et l'arrivée largement en tête du Front National. Beaucoup de bêtises ont été dites, beaucoup d’abattements ont interdit des analyses fines de la part des partis de gauche et c'est bien de la société civile que sont venues les réactions les plus intéressantes depuis le scrutin, via des appels (1) (2) (3) à une révolution à gauche, comme si l'ensemble des forces politiques avaient été terrassées par l'onde de choc.

Et pour cause, si une analyse peut être partagée par l'ensemble des commentateurs de bonne et de mauvaise foie, c'est celle de l'effondrement de la totalité des formations politiques à l’exception de Nouvelle Donne (+3%) qui, jouissant d'un effet de nouveauté réussit son pari sans que l'on sache s'il résistera à la tentation de se présenter comme le sauveur messianique attendu par la gauche (ce qui serait une grave erreur en ajoutant une nouvelle chapelle de ce côté de la sphère politique...). Le Front de Gauche maintient son score de 2009 malgré un contexte très défavorable à la gauche (ce qui n'est pas une contre-performance quoi qu'on en dise), le Centre se maintient également (voir régresse si l'on considère que le Nouveau Centre était avec l'UMP en 2009) mais surtout, indéniablement, le Front National progresse de 3.7 millions de voix entre 2009 et 2014! Aucun parti n'a jamais réussi une telle percée à ma connaissance. Que l'on prenne les données par tous les bouts (abstention, recule par rapport à 2012, etc), le succès est massif pour le FN, et surtout, si l'on considère ces suffrages pour ce qu'ils ont toujours été (un coup de pied de l'âne), c'est la première fois que tout l'édifice institutionnel de la 5° République (et sa concrétisation dans les formations politiques qui la composent) est ainsi rejeté en bloc... et en détail. Voilà pour la situation nationale.

Une élection européenne?

Car on finirait (c'est de coutume en France...) par oublier qu'il s'agissait là d'une élection continentale destinée à composer le rapport de force des institutions européennes avec la petite partie que représente la délégation française à Strasbourg (74/751). Et sur ce plan il est peu de dire que l'on a assisté à un coup de force technocratique de la part des libéraux. Car que nous apprend ce scrutin?

- Que le seul groupe constitué à progresser significativement est celui de la Gauche Unitaire Européenne (GUE) d'Alexis Tsipras, proposant une Europe des peuples, anti-austéritaire (+ 10 sièges)? Le PSE en gagne 6 seulement. Le signal est fort pour un changement d'orientation, venant notamment de l'Italie, Grèce, Espagne, Portugal, Irlande, tous pays de l'Europe des 12 ayant vu d'importants scores de la gauche alternative.

- Que la droite et les libéraux perdent presque 80 sièges... et revendiquent tous deux la victoire! C'est un détournement du résultat puisque la "gauche" (PSE+GUE+Verts) est majoritaire au Parlement européen au sortir des élections. Mais le PSE est-il toujours de gauche, tant il n'a jamais envisagé de s'allier avec ses partenaires (comme aux dernières législatives allemandes où il disposait d'une majorité pour la Chancellerie avec Die Linke et les Grünen mais lui a préféré l'alliance avec Merkel)? Avec qui plus est la probabilité que l'ancien premier ministre (Juncker) du premier paradis fiscal européen devienne président de la Commission, la coupe est pleine dans le contresens démocratique.

- Que l’addition des forces contestant l'Europe austéritaire atteint presque 200 sièges.

La forte poussée des partis europhobes ne doit pas être minorée dans ce qu'elle représente (un rejet de l'Europe Merkel) mais reste politiquement un non évènement tant il sera impossible à ces formations de peser dans le système politique européen. A l'inverse, il est fort dommage que le leader de la GUE manque à ce point de combativité. Si chacun sait qu'il n'aurait a peu près aucune chance de remporter l'adhésion du Parlement pour briguer la Commission, sa candidature aurait dû aller jusqu'au bout et se présenter comme l'alternative pour l'Europe afin d'obliger notamment les socio-démocrates à assumer leur orientation libérale en lui préférant un homme de droite. Au lieu de cela il reconnaît, modeste, la victoire de la droite aux élections. Faute de communication ou défaitisme inquiétant.

Table rase en France

Si la poussée de la GUE et la quasi-prise de pouvoir de Tsipras et du Syriza en Grèce sont des évènements sur lesquels doit s'appuyer électoralement toute la gauche européenne, chacun sait que la seule réorientation de l'Europe peut venir d'un des deux grands pays fondateurs. A ce titre, l'analyse de Jean-Luc Melenchon reste plus que jamais d'actualité: sans la France l'Europe ne peut continuer. Si la France refuse nationalement cette Europe en désobéissant (comme le prévoyait le programme européen de 2014), tout s'écroule tant elle est importante démographiquement et économiquement. A ce titre, la nouvelle donne accordant pour la première fois une majorité de sièges à des eurosceptiques français dans la délégation de notre pays peut soit affaiblir un pouvoir élyséen qui refuserait la confrontation (en perte de crédibilité), soit former un formidable appuis en forme de menace envers les partenaires européens si l'on sait l'utiliser ("voyez ce qui adviendra en 2017 si vous continuez à despérer les peuples"). L'on peut douter de la seconde option de la part de François Hollande.

Car a quoi ressemble l'échiquier politique après cette élection? La recomposition décrite sur ce blog (3) (4) (5) a subi un formidable coup d’accélérateur. L'ensemble des commentateurs a fait preuve d'un étonnant strabisme (sorte de succédané de la dédiabolisation lepéniste de ces derniers mois) en annonçant un champ de ruine pour la gauche. C'est peu de dire que pour la grande majorité des journalistes politiques la gauche c'est le PS. Ce qui est très grave comme faiblesse d'analyse. En effet, si nous savons au moins depuis décembre 2013, voir même dans les premiers mois du quinquennat que nous avions affaire à un véritable pouvoir de droite, dans le même temps nous avons constaté qu'une véritable gauche existait a côté du PS. Le temps du recalibrage du curseur d'analyse est un peu long et personne ne voyait l’effondrement du PS aussi rapide. Or, dans le contexte de notre histoire politique et l'omniprésence du PS et du PCF dans l'imaginaire de la gauche, plus rapidement le PS disparaîtra, plus vite électeurs et commentateurs seront contraints d'accorder du crédit aux autres formations. Le Syriza a eu cette "chance" en Grèce où le renversement s'est produit en une élection; il est a craindre que le phénomène soit plus lent en France et aboutisse, si rien n'est fait, à une présidence frontiste en 2017... Sans revenir sur l'effondrement des deux formations de gauche ayant participé au gouvernement et au maintient des autres, l’addition d'EELV+ND+FDG l'on atteint 18.46%, soit bien plus que le PS et guère loin de la droite. Loin de proclamer un satisfecit, l'on peut néanmoins considérer que l'objectif du FDG (passer devant le PS) est atteint... avec ses alliés. Cela n'est pas une addition artificielle, tant ces trois partis (depuis le départ des écologistes du gouvernement) sont unanimes dans la dénonciation des politiques d'austérité menées et très proches quand aux solutions proposées, ce qui s'est concrétisé de manière spectaculaire aux municipales à Grenoble.

Le pouvoir en place est très largement décrédibilisé depuis de longs mois. Mais le changement de cette élection est le passage finalement plus rapide qu'envisagé d'une sidération totale des électeurs et organisations de gauche à un rejet assumé de tout ce qui est étiqueté PS. Il n'y a aujourd'hui aucun suspens quand au renforcement de ce vote de rejet aux prochains scrutins si le pouvoir continue son autisme et sa fuite en avant vers la droite à chaque scrutin. L'alliance avec le centre que j'avais supputé (voir billets "recomposition") est aujourd'hui devenue compliquée par le discrédit qui provoque un certain manque d’appétence du PS pour le Centre... Que reste-t'il donc a faire?

Révolution...

Non pas la Grande Révolution. Mais l'ensemble des forces de gauche (et non les seuls partis politiques!) doivent assumer cette table rase de la situation antérieure. De ce fait l'on peut réellement considérer que la 5° République a été enterrée avec ce scrutin du 25 mai 2014.

Car si l'honnêteté intellectuelle poussera les citoyens et militants de gauche à reconnaître la défaite de notre camp et de ses stratégies depuis 2002, la logique d'appareil trouvera toujours des élus pour relativiser et pousser tantôt à la grande alliance des forces de gauche sous la bannière du premier d'entre eux (c'est déjà l'option prise par les amis de Gerard Filoche et leurs assises ... des socialistes en juin), tantôt l'élargissement jusqu'au centre, sur un constat que nous devrions assumer notre minorité politique dans le pays. En interne fleurissent les attaques de "compagnons" du Front de gauche aigris de ne pas voir adopter leurs thèses (Aurélien Bernier pour ne pas le citer, que Pierre Khalfa tance dans un récent billet sur Mediapart) ou de membres cherchant "à qui la faute". Mais comme le dit Khalfa, l'échec "tient au Front de Gauche lui-même", n'ayant pas su évoluer d'une forme qui était pertinente en 2012 mais n'était que conjoncturelle. Ne sous-estimons pas le rôle des médias dans la diabolisation de Jean-Luc Melenchon et le discrédit du terme de Gauche (François Fillon n'avait-il pas proclamé la victoire idéologique de la droite en 2007?) et assumons l'évidence de la stratégie inaudible aux municipales et d'une campagne non menée pour les européennes. En somme, nous connaissons une bonne partie des raisons de notre stagnation, maintenant il s'agit de déterminer une stratégie positive sans passer encore mois et Congrès à analyser la défaite.

Bien entendu il est nécessaire de se rassembler. Cela doit passer impérativement par la base, un retour à l'essence du Front de Gauche de 2012 et ses Assemblées citoyennes. Une base qui doit entamer des discussions avec l'ensemble de la société de gauche, associations, partis, syndicats, qui, comme le dit Edwy Plenel dans son appel salutaire, doivent désormais assumer leur positionnement politique. Le temps à la belle neutralité des intellectuels et "organisations non partisanes (sic)" est révolu et toute passivité se transformera en contentement lorsque l'inéluctable arrivera dans 3 ans. Le rassemblement doit dépasser les appartenances partisanes, un appel démocratique et citoyen de toutes part doit fleurir et imposer sa plateforme commune aux formations organisées. En cela l'appel pour des adhésions directes au Front de Gauche me semble déjà dépassé puisque le FDG est aujourd'hui vu comme un parti politique à part entière par les citoyens. Une fois ces Assemblées reformées, un but commun doit être posé. Le refus de l'austérité bien sur, mais cela ne sera pas suffisant tant cette vision peut être à géométrie variable selon le positionnement. Non, le seul constat unanime entre forces républicaines (en cela, oui, une discussion avec le Centre doit pouvoir être possible) repose sur la péremption de la 5° République. Simple slogan plus ou moins mis en avant selon les temps politiques, l'exigence d'une Constituante doit devenir la première ligne d'horizon du Front de Gauche et des forces de gauche. Nous devons nous transformer en Etats-généraux et pourquoi pas travailler sur des cahiers constitutionnels. Tout converge vers les institutions comme le documente largement Mediapart et son fondateur depuis fort longtemps. Nous en sommes à un stade où tout changement, même majeur (Régions, Justice, Elections,...) ne fera que rallonger la mèche. Celle-ci est allumée. Seule une Révolution au sens étymologique permettra de repartir sur de bonnes bases, démocratiques, écosocialistes, en montrant la voir politique du XXI° siècle comme la France l'a si souvent fait dans l'histoire.