Robert Goolrick a été déshérité par ses parents suite à la publication de Féroces
Pour en savoir plus sur l'auteur : http://robertgoolrick.com
"L'encre, cette noirceur d'où sort une lumière", Victor Hugo.
Les parents terribles, un couple happé par les mondanités
Famille américaine modèle
(publicité des années 1950)
L'alcoolisme, un héritage maudit
À 31 ans, Robert travaille pour une agence de publicités. Il se débat avec l'alcoolisme (un litre de gin par jour accompagné parfois de cocaïne), la dépression (un séjour en hôpital psychiatrique), les tentatives de suicide (il s'ouvre plusieurs fois les veines), les amours chaotiques (il aime simultanément une femme aux mains sublimes et un homme marié) et l'automutilation (il se taillade régulièrement les bras avec une lame de rasoir) : "Le sang était d'un rouge riche (...) comme le rouge à lèvres sombre et laqué d'une belle femme. Dans la lumière, il miroitait. J'étais amoureux de mon sang". Il exprime en toute transparence son insurmontable difficulté de vivre malgré les fortes doses de médicaments et d'anxiolytiques prescrites pour alléger ses souffrances : "Je voulais mourir depuis que j'avais douze ans. Je ne me sentais pas en sécurité. Je ne me sentais pas appelé à durer. Ma vie était une fiction que j'avais créée, comme un extraterrestre qui débarquait sur la Terre pour essayer de se faire passer pour humain. L'affection de mes amis ne signifiait rien pour moi, puisqu'elle s'adressait, telle qu'ils la convenaient, à quelqu'un qui n'existait pas. Il n'y avait personne à l'autre bout".
L'inceste, un secret bien gardé
Une cinquantaine de pages avant la fin du livre, Robert détaille abruptement le viol commis par son père, sous les yeux de sa mère, lorsqu'il était couché entre ses parents dans le lit conjugal (sa chambre avait été cédée aux invités de la famille) : "La nuit du 6 septembre 1952, je me suis réveillé dans la pénombre éclairée par le clair de lune, dans une chaleur étouffante, et je me suis rendu compte que mon père était en train de me baiser. C'était un mois et deux jours après mon quatrième anniversaire". Tout à coup, le lecteur comprend ce qui a déclenché un tel mal-être chez l'auteur et combien sa parole d'enfant a été niée : tous savaient, y compris la grand-mère, et ont gardé le silence pour s'enfermer à jamais dans le secret de l'inceste. Robert explique enfin comment il a survécu à ce traumatisme, à la fatigue d'être soi (il se trouve laid, maigre, maladroit et sans intérêt), à l'impossibilité d'aimer ou d'être aimé qui lui a fait renoncer à toute forme de sensualité : "Au milieu de toute cette confusion, dans l'instant où tout a commencé, il y a la sensualité, le désir, et même la volonté de me faire mal, plus tard, des années plus tard, car c'était la seule expérience sensuelle possible puisque je ne supportais plus l'idée même qu'un autre être humain me touche avec amour ou affection, or la mutilation était une forme d'auto-affection".
L'écriture, une libération
Bien qu'il existe déjà beaucoup de témoignages d'auteurs américains sur l'alcool et la dépression (La Fêlure de Francis Scott Fitzgerald, une nouvelle écrite en 1936, et Face aux ténèbres de William Styron publié en 1990), celui de Robert Goolrick, totalement dépourvu de pathos, est extrêmement touchant car l'écrivain réussit à faire de son combat intime un projet artistique qui surmonte les risques du narcissisme. Il démontre qu'il n'a pas gâché sa vie mais qu'au contraire la sienne a été gâchée par l'intrusion du corps "étranger" de son père. Il ose briser la loi du silence - ce qui lui coûte l'héritage de sa famille - pour se faire justice et dissuader tout homme qui tiendrait ce livre entre ses mains d'abuser d'un enfant.
J'encourage sincèrement toute personne victime d'addiction à lire ce roman puis tester les vertus libératoires du langage en substituant le manque par l'écriture (aucune nécessité de se sevrer ensuite de cette drogue douce mais puissante qu'est la littérature!). J'ai moi-même utilisé ce remède pour vaincre l'anorexie. En effet, tel un boxeur qui valse entre les cordes du ring, j'ai lutté avec les mots de la maladie, esquivé les coups du sort, fait cracher un sang d'encre au mutisme, envoyé au tapis l'ennemi en moi. Il m'en a fallu du temps pour mettre KO mon chaos et devenir un peu plus féroce …
Hope filter, huile sur toile, Flavia Pitis (2011)
Jeune artiste-peintre roumaine
Il nous faut tous, un jour ou l'autre, regarder le passé en face