Gogol
Relecture des Âmes mortes ou des Aventures de Tchitchikov. J’ai appris que Gogol errait en Europe de l’Ouest au moment de l’écriture de ce roman à la gloire des personnages et paysages de sa Russie natale. Les siens et sa géographie particulière, il vaut mieux s’en tenir loin pour les chanter avec douceur et compassion dans la critique même. Mes meilleurs textes sur ma géographie, à moi, je les ai écrits en exil, à Kingston, en Ontario. Exil doré, mais exil tout de même.
Je suis à lire Une vraie blonde et autres de Jack Kerouac. Au début, on donne la liste de ses Principes de prose spontanée -auxquels je n’adhère pas spontanément, inutile de le préciser. J’ai trop le respect des virgules, points-virgules et autres ralentisseurs utiles du souffle. Je partagerais un peu de sa passion pour le tiret – qui évite souvent les complications et la lourdeur d’une suite de propositions explicatives. Le tiret n’a pas toutefois la vigueur de cette pause « coupant la respiration rhétorique » du musicien de jazz que recherchait Kerouac.
Toutefois, il a eu en partie raison. Pas dans l’application jusqu’au-boutiste de ses principes de prose spontanée – ce qui s’est avérée impossible –, mais, en pratique, il a tout de même obtenu de ses intentions vagues d’éviter le verbe trop appris qui enchaîne. La littérature fait vivre sa femme ou son homme. Pas matériellement, précisons-le. Spirituellement.
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Musset
L’été, temps des relectures. La confession d’un enfant du siècle de Musset. On relit toujours avec des yeux nouveaux et on découvre ainsi des évidences que, lors des lectures précédentes, un manque de culture ou de conscience occultait. Ainsi, pour expliquer l’inconstance des amants, ces phrases de haute parenté schopenhauerienne dans le texte de Musset : « La nature, avant tout, veut la reproduction des êtres ; partout, depuis le sommet des montagnes jusqu’au fond de l’Océan, la vie a peur de mourir. Dieu, pour conserver son ouvrage, a donc établi cette loi, que la plus grande jouissance de tous les êtres vivants fût l’acte de génération. »
Sur la permanence de l’illusion – de la Maïa : « Ô créatures qui portiez le nom de femmes, et qui avez passé comme des rêves dans une vie qui n’était elle-même qu’un rêve ! – que dirai-je de vous ? »
Et ce passage que l’on peut rapprocher de la parabole du « bon grain et de l’ivraie » du Nouveau Testament et qui interpelle les hégéliens et teilhardiens dans leur évaluation souvent mal avisée des événements historiques qui leur sont contemporains : « […] le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris. »
Et plus loin cette description anticipée du postmodernisme, de l’urbanité et des oxymorons : « Aussi les appartements des riches sont des cabinets de curiosités ; l’antique, le gothique, le goût de la Renaissance, celui de Louis XIII, tout est pêle-mêle. Enfin nous avons de tous les siècles, hors du nôtre, chose qui n’a jamais été vue à une autre époque ; l’éclectisme est notre goût ; nous prenons tout ce que nous trouvons, ceci pour sa beauté, ceci pour sa commodité, telle autre chose pour son antiquité, telle autre pour sa laideur même ; en sorte que nous ne vivons que de débris, comme si la fin du monde était proche. »
Entre une série d’observations de cette perspicacité, l’auteur (qui s’est donné le nom d’Octave) passe une bonne partie de son temps agenouillé sur les gazons, au pied des dames, ou dans son lit à trembler de fièvre et à pleurer… Heureusement, toutes ces lamentations d’une vanité maladive sont racontées dans une langue qui, parfois, se souvient encore de la prose efficace, musicale et simple du XVIIIe siècle.
L’auteur…
Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon