A l’occasion du festival Web2day qui démarre à Nantes ce mercredi jusqu’au 6 juin et dont l’Atelier est partenaire, entretien avec l’un des intervenants, Laurent Manach sur le niveau et les enjeux actuels de la collaboration entre grands groupes et les startups en France.
Laurent Manach est Directeur du Pôle de compétitivité E=MC2 et, à ce titre, porteur du projet IRT Jules Verne, un centre de recherche mutualisé dans le domaine de l’Industrie lourde dans les Pays de la Loire . Il est l'invité d'une table ronde pendant le Web2day intitulée: "Web is industry : Industriels, Grands comptes, startups, comment vivre la transition numérique ensemble ?"
L’Atelier : On parle open innovation, collaboration startups/grands groupes…Cela veut-il dire que les modes opératoires plus traditionnels ne fonctionnent plus ou sont obsolètes ?
Laurent Manach: Fondamentalement, non. Les modèles antérieurs peuvent perdurer mais la problématique face à laquelle nous sommes confrontés c’est qu’il y a de plus en plus de croisements entre les secteurs, il y a également une problématique financière qui font que l’open innovation, la fertilisation croisée sont de plus en plus importantes et nécessaires. Et ce afin de ne pas laisser passer une idée ou la montée en puissance d’un modèle concurrent.
Nous, on a toujours une démarche qui consiste à s’attaquer par exemple à l’allègement de structures, aux solutions techniques existantes, aux réponses à apporter, aux verrous technologiques à lever, aux compétences, à la façon dont on monte un projet collaboratif, aux moyens de trouver les financements, etc. C’est un modèle qui tourne bien parce que nous sommes quand même dans des dispositifs très technologiques. Et puis il faut souligner que nous sommes dans l’industrie de production qui n’est pas directement menacée aujourd’hui par des modèles complètement clivants. Il ne s’agit pas de la situation d’Amazon et des librairies. En revanche, tout un écosystème numérique se crée actuellement autour des usages découlant des smartphones ou bien des usages par les entreprises des services Web, dont on peut s’inspirer.
Le risque pour les grandes entreprises non-innovantes n’est-il pas en effet de se faire dépasser par des startups aux idées plus innovantes et disruptives ?
La vraie difficulté est justement pour des sociétés comme Barnes & Noble qui surveillent leurs concurrents mais qui ne voient pas les challengers complètement différents qui peuvent venir du monde numérique. Il a y quand même une agilité dans l’univers du numérique qui n’existe pas forcément dans notre univers lié aux industries de production.
Quelles sont les recettes pour que la collaboration entre les grands groupes et de plus petites structures soit vraiment efficace ?
La manière dont nous travaillons repose sur des accords de propriété intellectuelle et des accords sur l’exploitation. Pour un grand groupe c’est important d’avoir des PME qui innovent, qui sont capables de se remettre en question, de gagner en compétences technologiques, voire de partager le risque. Et dans le même temps pour les petites entreprises, ce qui est important c’est de pouvoir compter sur des contrats qui viendraient des grands groupes. Donc il y a une partie exploitation-achat et une partie innovation-développement. L’équilibre est nécessaire pour éviter que chacun veuille tirer la couverture à soi.
Certains modes de collaboration ne sont-ils pas en réalité de la simple prestation externe?
Au sein du pôle E=MC2, on délivre un label pour qualifier les projets sur lesquels on s’engage. C’est vraiment du co-développement et de la progression qu’on propose aux PME. Mais c’est vrai que cela peut être un risque. Même si le risque n’est pas tant de la sous-traitance ; le vrai sujet étant que les grands groupes ont besoin de PME qui vont venir conforter leur « supply chain » en se dotant de compétences technologiques.
La collaboration doit-elle s’inscrire dans le temps à l’égard d’une même PME?
La collaboration doit s’inscrire dans le temps. Le travail accompli actuellement par les grands groupes est plutôt dans cette lignée. Maintenant, pour être tout à fait clair, une entreprise comme Airbus ne passe pas huit ans de commandes à une même PME alors que le carnet de commande s’étale sur cette même période. C’est le principe de la concurrence. Il faut faire en sorte que la PME ne se repose pas sur une seule technologie ni sur un seul donneur d’ordres.Tout ce qui est fertilisation croisée ; cad transfert d’une technologie d’un secteur à un autre secteur permette d’avancer dans cette diversification-là.
Quels pré-requis sont nécessaires pour rendre la collaboration pérenne ?
Pour un grand groupe, le pré-requis serait son schéma stratégique : réalisation d’un prototype ? tester une technologie ? gagner un nouveau contrat ,etc ? Quant à la PME elle doit avoir envie de se développer, trouver de nouveaux clients et d’organiser leur croissance sur la base de l’innovation.
Si l’on doit opposer le monde industriel au monde numérique, la différence réside dans le fait que parfois les modèles économiques du numérique sont plus simples. Par exemple, une startup fabrique un nouveau logiciel puis se fait racheter par une entreprise plus importante qui elle-même sera avalée par un grand groupe selon une logique de consolidation. Dans l’industrie, une entreprise s’engage sur trois ou quatre ans et doit aller chercher les contrats avec les dents. Sans compter que la crise de 2008 a fortement impacté la mécanique.
Les différences de process - rapides les startups ; plus longs et complexes côté grands groupes- ne sont-ils pas un autre frein pour la mise en place d’une collaboration ?
C’est exact mais ce que l’on explore au sein de notre pôle de compétitivité, c’est de faire travailler des ingénieurs de la construction navale avec des ingénieurs de l’aéronautique. Il n’y a aucune différence de taille entre les deux. D’un autre côté, la richesse vient souvent de ces deux types d’interface. Je cherche à faire en sorte qu’on puisse mieux s’inspirer de ce qui se passe dans le numérique. Cela dit, je reste aussi persuadé que le numérique peut tout aussi bien s’inspirer des méthodes industrielles, notamment en terme de productivité.
Comment faire de la collaboration un vrai levier d'innovation, autant pour l'économie que pour l’entreprise concernée?
Nous, le cœur de développement de notre écosystème, c’est l’ETI, l’entreprise de taille intermédiaire. Il s’agit plutôt d’une entreprise familiale, fortement implanté dans un territoire donné dont le rôle est de faire des aller-retour entre les grands groupes et les PME. Ces structures doivent être capables de bien comprendre la problématique des PME tout en ayant une analyse marché propre aux grands groupes. On a d’ailleurs mis en place un outil qui s’appelle le « fast track ETI » pour aider les entreprises à se poser la question de savoir pourquoi elles ne sont pas encore une ETI, quelles sont les problématiques de management, d’internationalisation, d’innovation ou bien encore de capacité productive. Parce que ce ne sont pas les mêmes problèmes que pour les startups. Par ailleurs, dans l’IRT Jules Verne, on a lancé un fablab avec les imprimantes 3D et notre objectif est d’amener à la fois le grand public, les jeunes et le monde du numérique à se saisir de ces outils et de ces technologies-là.