Fondée sur un fantasme, celui de l’impunité des employeurs dont le seul but, avec la complicité des juridictions, serait d’enfreindre la loi, la proposition de loi relative aux pouvoirs de l’inspection du travail, marque un net virage vers une répression accrue des entreprises. Une radicalisation regrettable qui heurte notre Constitution…
Qui n’a jamais entendu la complainte de l’incurie du Parquet ignorant les PV transmis par les inspecteurs du travail ? A cela, rétorquons, d’abord, que le Ministère public dispose toujours de l’opportunité des poursuites compte tenu des circonstances de l’espèce ou des orientations de la politique pénale globale. Rappelons, ensuite, quelques chiffres : 217.000 contrôles opérés en 2011, seulement 8.000 PV dressés et, in fine, 7.000 condamnations prononcées ! Qui peut parler de « patrons voyous » ou d’impunité !
Partant, était-il nécessaire de légiférer ? S’il s’agissait de réformer la voie pénale pour lui donner plus de légitimité, pourquoi pas. En ce sens, l’introduction en droit du travail de l’ordonnance pénale ou de la transaction pénale pourrait être, en raison de leur rapidité et de leur confidentialité, de nature à rassurer les chefs d’entreprises. En revanche, s’il s’agissait de sanctionner plus sévèrement encore les entreprises, le législateur aurait pu s’abstenir. Or, que comprend la proposition de loi ? L’introduction d’amendes administratives d’un montant bien supérieur aux contraventions préexistant avec lesquelles elles vont, de surcroît, se cumuler. La « délictualisation » du non-respect de la mise en demeure du DIRECCTE en matière d’hygiène et de sécurité. La multiplication par dix de l’amende encourue en cas d’obstacle aux fonctions des agents de contrôle de l’inspection du travail, désormais fixée à 37.500 euros. Ou encore l’accès généralisé de ces mêmes agents à tous les documents de l’entreprise et la multiplication des expertises à la charge de celle-ci.
L’objectif de la proposition de loi apparaît donc clairement : sanctionner, sanctionner et… sanctionner sans tenir compte « d’autres priorités judiciaires », pourtant légitimes. A ce titre, l’amende administrative est un leurre. Loin de dénoter, comme on pourrait le croire de prime abord, les limites de la voie pénale traditionnelle, elle permet de la renforcer. Par exemple, le non-respect de la durée hebdomadaire du travail donnera lieu, à l’avenir, à une amende de 2.000 euros au plus par salarié, laquelle se doublera d’une contravention de 750 euros par salarié : 2.750 euros et double peine donc !
Pour sa part, la CCI Paris Ile-de-France estime que le rôle et la place de la sanction pénale en droit du travail mérite d’être plus largement repensée, ne devant être réservée qu’aux seules infractions portant les atteintes les plus graves aux droits fondamentaux. Vaste projet qui ne peut aboutir en quelques semaines. Mais le chantier mérite d’être ouvert….
Dans l’intervalle, souhaitons que le législateur fasse preuve d’un peu de bon sens en amendant son texte. Le Gouvernement aura aussi sa carte à jouer, pouvant proposer de dépénaliser les contraventions également punie, désormais, d’une amende administrative. Cela est de son seul ressort… La Constitution, enfin, constituera la dernière planche de salut, le Conseil constitutionnel jugeant de la proportionnalité des peines, dans une acception large incluant les sanctions administratives, comme il l’a fait le 13 mars 2014 dans sa décision n° 2014-690 DC « Loi relative à la consommation ». Selon cette jurisprudence, la loi ne peut opérer de différence entre le montant de l’amende administrative et celui de l’amende pénale réprimant les mêmes faits. Aussi, le Conseil constitutionnel ne manquera pas d’invalider les présentes dispositions dès lors que les comportements visés par une amende administrative de 2.000 euros font également l’objet de contraventions de 4ème ou 5ème classe – 450 ou 750 euros. Une différence de traitement inconstitutionnelle qu’il aurait été possible d’éviter si une large concertation avait été ouverte sur le sujet… Rendez-vous donc dans quelques semaines rue Montpensier !