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Programme commun sur les écrans arabes : fin de l’émission Al-Barnameg de Bassem Youssef

Publié le 03 juin 2014 par Gonzo

yussefend

A juste titre, l’arrivée de Bassem Youssef dans le paysage audiovisuel arabe, dans la foulée de la « révolution du 25 janvier » au Caire, a été salué comme un véritable événement. Ne serait-ce que par son générique, brodant autour de YouTube et des réseaux sociaux, Al-Barnameg (le programme) ouvrait le monde arabe à un « ton » différent, celui d’un humour iconoclaste assez neuf pour la région. Avec un certain succès puisque l’émission attirait, à la grande époque, un énorme public, et pas seulement en Egypte (où elle était retransmise dans les cafés, comme les matchs de foot !)

Malgré sa critique féroce des Frères musulmans, l’émission n’a jamais été interrompue au temps du président Morsi, pourtant moqué sans pitié. Son animateur avait été menacé, mais de poursuites légales, qui n’ont rien donné. Après le « coup d’Etat du 3 juillet 2013 » (c’est ainsi qu’on présente la chose sur Wikipedia) et la pause, prévue, de Ramadan, la chaîne CBC avait brutalement mis fin au contrat qui la liait à l’animateur. Al-Barnameg avait repris en février dernier, sur la branche égyptienne du méga-groupe saoudien MBC. Une reprise incontestablement difficile au regard des embûches possibles, et en dépit d’un mystérieux brouillage pile au moment de sa diffusion), avant d’être suspendue jusqu’à la fin de la campagne électorale.

A peine scellée l’élection de Sissi, Bassem Youssef a annoncé qu’il mettait fin à son programme. Trop de pression, a-t-il déclaré, dans un climat qui n’est plus « propice à des spectacles d’humour ». Impossible également de revenir aux débuts de l’émission, quand elle était bricolée sur YouTube : Al-Barnameg est devenue une grosse machine qui ne convient plus à ce type de format. Une décision que les réseaux sociaux locaux ont commenté sur le mode humoristique en disant : Dommage que ça soit court, c’était bon ! (ليه كل حاجة حلوة عمرها قصير)

« Nous vivons la plus belle époque de la démocratie, et celui qui dit le contraire, qu’on lui coupe la langue ! » plaisantait encore Bassem Youssef en faisant ses adieux à son public dans le théâtre où était enregistrée l’émission. En soi, le destin d’une émission télévisée satirique n’a bien entendu pas une énorme importance au regard de ce qui se passe en Egypte où, dans l’indifférence polie de la « communauté internationale », les suspects de « terrorisme » (comprendre : les partisans de l’ancien président destitué) sont condamnés à mort par centaines. Néanmoins, la disparition de cette voie/voix qu’incarnait Bassem Youssef est bien entendu symboliquement très importante.

En confirmant que le paysage médiatique n’a pas vraiment changé en dépit des événements que l’Egypte et le reste de la région ont connus depuis la fin de l’année 2011, l’arrêt d’Al-Barnameg est un retour au bon vieux temps d’avant la « récréation » du début de l’année 2011. On peut tenter de faire « porter le chapeau » à tel ou tel lampiste local (en l’occurrence le président du club sportif Zamalek), personne ne doute vraiment de l’intervention directe des autorités saoudiennes. La triste réalité, c’est bien celle du « programme commun » arabe, imposé aux médias arabes par l’argent du Golfe. Seul changement par rapport à la situation d’avant 2011, l’affaiblissement d’Al-Jazeera, victime des aventures diplomatiques de l’Etat qui dirige la chaîne… (Raison de plus au demeurant pour soutenir des médias qui adoptent un placement différent, en l’occurrence le quotidien Al-Akhbar et la chaîne Al-Jadeed au Liban, en proie à une intimidation légale qui suscite, tout de même, quelques inquiétudes

« Le temps n’est pas à la plaisanterie », donc, comme le constate Bassem Youssef lui-même. Mais prenons date tout de même  : au vu de ses performances électorales, il serait étonnant que Sissi se révèle le grand homme d’Etat qu’il prétend être. Combien de temps sera-t-il soutenu par ceux qui lui veulent du bien (Fabius entre autres) quand il s’enfoncera toujours plus dans un autoritarisme, pour ne pas écrire une « dictature », qui pourrait bien être pire que ce que l’Egypte a connu jusqu’alors ?


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